We Shall Overcome, la bande originale du mouvement des droits civiques

« O e va vaincre. » Dans les champs de tabac. « Nous vaincrons. » Sur le pont de Selma. « Nous vaincrons. » Sur les marches du Lincoln Memorial à Washington. « Nous vaincrons. » La chorale gospel. « Nous vaincrons. » La voix traînante de Martin Luther King. « Nous vaincrons. » La voix cristalline de Joan Baez. « Nous vaincrons. » L’hymne du mouvement des droits civiques. » La chanson la plus puissante du XXe siècle », selon la Bibliothèque du Congrès.
« Le monde est un immense champ de bataille / Avec des forces entièrement déployées / Si mon cœur ne cède pas / Je gagnerai un jour. »
Comme souvent dans l’histoire des Noirs en Amérique, cela commence par la souffrance… et l’espoir d’en sortir, donc par un évangile. Il s’agit de Charles Albert Tindley, pasteur méthodiste et compositeur de dizaines d’évangiles (dont Soutenez-moi, repris par Elvis Presley en 1966), qui l’écrivit en 1901 sous le titre Je surmonterai un jour (je vaincrai un jour). Il commence alors par ces mots : « Le monde est un immense champ de bataille / Avec des forces entièrement déployées / Si mon cœur ne cède pas / Je gagnerai un jour. » Dès 1909, elle est mentionnée dans le journal du syndicat des mineurs comme « cette bonne vieille chanson » qui ouvre chaque réunion pendant une longue grève. Le gospel s’est sécularisé et c’est déjà un chant de révolte, repris aussi bien par les Noirs que par les Blancs, depuis les Travailleurs unis des mines est un syndicat non ségrégatif.
La grande déception de l’après-guerre
Il faut survoler quelques décennies pour trouver la première version moderne. Nous sommes en 1945. La Seconde Guerre mondiale se termine, un mouvement des droits civiques est en train de naître. Les deux sont liés. Des dizaines de milliers de soldats qui s’appellent encore « Nègres » combattu le nazisme sur le sol européen au nom des valeurs de liberté et de démocratie. Ils pourraient enfin être traités d’égal à égal. Leur retour aux États-Unis est le signe d’une grande désillusion : rien n’a changé et, dans le Sud, ils n’ont toujours pas le droit de siéger aux mêmes guichets que les Blancs, sans même évoquer des droits plus fondamentaux. Et ils se retrouvent souvent exclus des avantages du « GI Bill », qui offre aux vétérans un certain nombre de facilités.
Intérieurement, la « grande migration » s’accélère : le départ massif des Noirs des anciens États esclavagistes vers les centres industriels du Nord-Est et du Midwest avait commencé vers 1910, pour échapper aux nouvelles lois (dites Jim Crow) de ségrégation progressivement mises en place depuis le fin du 19e siècle; pendant le plus grand conflit mondial de l’histoire, elle s’est poursuivie pour des raisons économiques. Dans les grands centres urbains de la révolution industrielle, les descendants d’esclaves retrouvent des emplois et souvent des droits, dont le droit de vote.
De l’individuel au collectif
Mais c’est dans le sud du pays, l’ancienne confédération, que la situation reste la plus insupportable. Et c’est là que l’évangile devient un chant de révolte. Plus précisément : dans un champ de tabac lors d’une grève à Charleston, en Caroline du Sud. Cela dura cinq mois, durant l’hiver 1945-1946. Chaque matin, sur le piquet de grève, la dirigeante syndicale Lucille Simmons et les grévistes, majoritairement des femmes noires, chantent une version titrée Nous vaincrons,qui marque le passage de l’individuel (« Je ») au collectif (« Nous »).
C’est le même syndicaliste afro-américain qui l’enseigne à Zilphia Horton, militante et directrice musicale de la Highlander Folk School, dans le Tennessee, un centre de formation pour militants syndicaux. Elle-même le transmettra à Pete Seeger, pionnier, avec Woody Guthrie (celui dont la guitare portait cette inscription « Cette machine tue les fascistes », « cette machine tue les fascistes »), du folk contestataire. Tous deux sont également des militants proches du Parti communiste, dont le directeur paranoïaque du FBI, John Edgar Hoover, a juré de le ruiner. Dès 1947, Pete Seeger fait figurer la chanson dans le journal de la société qu’il a fondée :Chansons populaires.
En 1960, c’est Guy Carawan, directeur musical de la Highlander School, qui présenta sa version à la convention de la fondation, à Raleigh, Caroline du Nord, du Student Nonviolent Coordinating Committee, principale organisation d’étudiants favorables aux droits civiques, qui s’en empare. Pete Seeger, encore une fois, le reprend. Puis Joan Baez, à 22 ans, face à 300 000 personnes lors de la marche sur Washington en août 1963. Puis tout le mouvement des droits civiques.
« Nous vaincrons / Nous vaincrons / Nous vaincrons un jour / Oh, au fond de mon cœur / Je sais que je crois / Nous vaincrons un jour / Nous irons bien / Nous irons bien / Nous irons bien, un jour. »
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