Télévision. « Masterchef » débarque sur le service public

Le décor est le même, la mécanique est identique, et même la musique rappellera des souvenirs aux spectateurs. « Masterchef » revient, après son arrêt en 2015, et passe de TF1 à France 2. Comment le service public peut-il s’emparer d’un concept de télé-réalité ? Et dans quel but ? Trois interlocuteurs, à France Télé, à Endemol et dans le jury, expliquent comment « Masterchef » est devenu, sous leur impulsion, une émission qui répond au cahier des charges de France 2, à savoir informer, divertir et cultiver. Un sacré changement de cap.
C’est France Télévisions qui a approché Endemol pour reprendre ce programme. Nicolas Daniel, directeur des magazines de France Télévisions, explique : « Le service public produit traditionnellement beaucoup d’émissions autour de la cuisine, comme « Les Carnets de Julie » ou « Cuisine ouverte », de Mory Sacko, sur France 3. C’est un domaine dans lequel nous sommes très implantés, avec des valeurs de proximité, d’ancrage dans les régions, les terroirs, la notion de saisonnalité et de bien manger. »
Seul souci : « Aux heures de grande écoute, la cuisine ne fait pas de recette. Il nous a semblé que le concours était l’histoire la plus adaptée » pour s’adresser aux téléspectateurs, raconte le patron de la télévision publique. C’est aussi un juste retour aux sources, puisque le programme est né sur une chaîne publique, la BBC. Matthieu Bayle, d’Endemol, appuie le propos : « On voit que les nouveaux concepts ont du mal à percer. On le voit avec le renouveau de « Pékin Express » (sur M6) et bientôt de la « Star Academy » (sur TF1) : ce sont des marques de câlins. La cuisine en fait particulièrement partie : « On est dans un contexte un peu anxiogène. La cuisine est l’un des derniers endroits où l’on peut partager du plaisir. »
« Masterchef » est donc de retour, avec un jury sur-mesure composé de trois chefs : Yves Camdeborde, qui a assuré les quatre premières saisons du jeu sur TF1, Thierry Marx, qui a été membre du jury de « Top Chef », un concours réservé aux professionnels, et Georgiana Viou, ancienne candidate de « Masterchef », qui assure, selon Nicolas Daniel, « un lien de transmission » entre les deux périodes du concours. Jury sur mesure, car la philosophie a complètement changé. L’idée est d’abord d’ancrer le spectacle sur des amateurs. « Ils ont aussi été jetés sur leurs compétences, pas du tout sur leur manière d’être », précise Nicolas Daniel.
« Il y avait beaucoup de tension » dans le match initial, raconte Yves Camdeborde. « Là, la volonté de France 2, c’est d’être à la fois dans la notion de transmission et de bienveillance, de plaisir. Je me retrouve beaucoup plus dans cette approche de mon métier », confie le leader de la bistronomie. « Masterchef » version TF1, c’était « un peu « do or die ». Ce serait un peu gênant aujourd’hui », plaisante Matthieu Bayle. L’idée est au contraire de proposer « une émission d’où ressortent la bienveillance et la bonne humeur », qui permet aussi « l’implication remarquable d’Agathe Lecaron », l’animatrice, assure Yves Camdeborde. « Agathe, qui présente deux émissions sur France 5 (« Les Maternelles » et « Bel et bien » – NDLR), ne se prend pas au sérieux et parvient à créer de la légèreté et un sourire, même quand c’est assez tendu », ajoute Nicolas Daniel.
35 millions de cuisiniers à domicile
La sensibilisation à l’environnement a également fait de grands progrès ces dernières années. Fini le gaspillage, les quantités de nourriture à disposition des candidats sont rationnées, les déchets utilisés, et les « restes semi-frais et secs » reversés au Secours populaire français. Surtout, « nous sommes très attachés à la saisonnalité des produits, à une cuisine équilibrée et économique à l’heure où le pouvoir d’achat est en berne », note Nicolas Daniel.
« Le programme est basé sur le bon sens paysan : pas de produits de luxe, des producteurs propres pour la nature, et des produits du quotidien », ajoute Yves Camdeborde. « On s’appuie sur les 35 millions de cuisiniers amateurs de France, avec l’idée qu’ils peuvent reproduire les assiettes », appuie Matthieu Bayle.
Yves Camdeborde affirme que la compétition rompt aussi avec la dictature de l’aspect visuel des plats : « Quand c’est bon, c’est quand même beau. Il y a urgence pour lui de cuisiner alors que les scandales agro-alimentaires se multiplient. « Pour cuisiner, il faut accepter de lâcher prise. Parfois, ce ne sera peut-être pas très bon, mais dans tous les cas, ce sera comestible et améliorable. Et petit à petit, l’identité culinaire de chacun apparaît. »
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