Tatiana Trouvé. Le Grand Atlas de la désorientation
Jusqu’au 22 août, au Centre Pompidou, à Paris
Des images oniriques flottent dans la Galerie 3 du Centre Pompidou. Sur des fonds nébuleux, de grands dessins soignés, au crayon noir et à l’aquarelle, mêlent des fragments d’architecture et de nature, comme ce grand arbre déraciné couché dans une chambre. Des visions positives et négatives s’y superposent comme dans les flashs photographiques. Certains portent le beau nom de Mémorisé. D’autres plus fantomatiques encore, tracées sur l’écran d’une nuit noire, s’appellent Rémanence. Il s’agit donc ici d’oubli et de mémoire, d’un territoire mental, en somme. Bienvenue dans « Le Grand Atlas de la Désorientation » de Tatiana Trouvé !
C’est la deuxième fois que l’artiste, défendu aujourd’hui par la puissante galerie Gagosian, expose à Beaubourg. La première fois, c’était en 2008, en tant que lauréat du prix Marcel-Duchamp. Elle y avait rempli la salle d’exposition d’un lent écoulement de sable noir, comme une mesure du temps. « Je conçois toujours mon travail in situ, en relation étroite avec un lieu », confie-t-elle, avec cette jolie touche d’accent qui rappelle ses origines italiennes. Pour ce nouvel accrochage, Tatiana Trouvou est allée jusqu’à modifier le sol de la galerie d’exposition, incrustant des fragments de pierre et dessinant « différentes manières d’habiter le monde » : ici les déplacements des fourmis, là la carte olfactive des meutes de loups enregistrées dans le parc de Yellowstone (États-Unis), ailleurs les trajets des neutrinos ou d’un cytoplasme, ou encore les cartes oniriques des peuples aborigènes.
« Quand j’ai découvert cette culture totémique, j’ai trouvé beaucoup d’échos avec mon travail », fait-elle remarquer. « Leur rapport à l’inconscient et au rêve, leur conception du monde qui tisse des liens entre les choses à partir d’un centre m’intéresse. La pierre, la fourmi, l’étoile, tout est lié. poursuit celle qui, dans sa vie privée, est aussi une militante écologiste. Tatiana Trouvou grandit à Cosenza en Calabre, puis à Dakar à l’adolescence, dans l’ombre d’un père architecte et sculpteur. « Il ne sculptait que des figures », précise-t-elle en dévoilant une statuette paternelle cachée dans un coin de la galerie.
Au contraire, elle a choisi de ne représenter que des espaces vides, d’où l’humain semble s’être absenté en oubliant juste ici une paire de chaussures, là des valises… Ce qui renforce le climat inquiétant de sa série l’intranquillité, où l’intérieur et l’extérieur se confondent tandis que traînent des fils de cuivre, parfois une bonbonne de gaz. Même les sculptures de son Gardiens affichés dans l’exposition n’offrent qu’une chaise vide avec, abandonnés dessus, un pull, un sac, des livres, des effets personnels comme pétrifiés dans du marbre, de l’onyx ou du bronze. La catastrophe, Tatiana Trouvou en a gardé un souvenir très précis, comme en témoigne un grand dessin exposé à Beaubourg. Un jour à Cosenza, un énorme rocher est tombé de la carrière voisine sur le toit de la maison familiale. Il traversa la chambre pour atterrir au milieu du salon.
De tels blocs, comme les murs de cette carrière, semblent hanter plusieurs œuvres de l’artiste. Dans d’autres, le monolithe semble s’être mué en un menhir emprunté à Carnac par l’artiste, fasciné par ces signes inscrits dans le paysage. « Mon ami l’archéologue Jean-Michel Geneste m’a même qualifié une fois d’artiste préhistorique ! », avoue-t-elle avec un sourire. Cela ne l’empêche pas de suivre l’actualité de près. A l’entrée de son exposition, elle a accroché une série de dessins dessinés à la une des journaux du monde entier, lors du premier confinement. Lorsqu’elle a été levée le 11 mai 2020, alors que le quotidienSortie titré, sardoniquement, « Retour à l’anormal », Tatiana Trouvou a évoqué le spectre d’une plate-forme pétrolière crachant une fumée noire à côté. Comme la chronique d’une catastrophe annoncée.
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