Les pompiers n’ont ménagé aucun effort pour combattre les mégafeux de La Teste-de-Buch et de Landiras. Ni contre les incendies dans le massif de la Montagnette, au sud d’Avignon, ou dans les monts d’Arrée, en centre Bretagne. Depuis le début de l’année, quelque 40 000 hectares ont été dévorés par les flammes – 10 000 de plus que sur l’ensemble de 2021. Autant dire que le personnel du 18 n’est pas prêt à se contenter de simples marques de reconnaissance d’Emmanuel Macron, en visite La Teste le mercredi 20 juillet ( « Vous faites un travail remarquable. Merci merci beaucoup »), ni de ses promesses de » pas plus loin « des avions pour combattre les incendies. Pour faire face aux aléas naturels ainsi qu’aux besoins d’intervention d’urgence, leurs syndicats attendent une mise à jour complète du fonctionnement de la Sécurité Civile.
« Les secours et soins d’urgence aux personnes représentent plus de 80% des missions »
Pour SUD Sdis (service départemental d’incendie et de secours), la France accuse un retard dans ce domaine. « Nous sommes encore au temps d’hier, quand notre pays a connu, ici et là, des feux de végétation de quelques centaines d’hectares et, de temps à autre, une catastrophe naturelle ou industrielle, explique le syndicat. La solidarité nationale s’est alors exercée sans impact majeur sur les départements sollicités pour venir en aide à leurs voisins sinistrés.. » Aujourd’hui, avec le changement climatique, les mégafeux se multiplient, tout comme les phénomènes météorologiques extraordinaires : inondations, tempêtes, marées, températures extrêmes, etc.« Les secours et soins d’urgence aux personnes représentent plus de 80% des missions, souligne SUD Sdis. Ceux qui sont stationnés dans la caserne donnent tout ce qu’ils peuvent, mais cette opération ne durera plus… »
Les signaux se succèdent. Certes, la législation en France n’instaure qu’une obligation de moyens, pas de résultats (un décret de 1981 avait pourtant défini la durée d’intervention en milieu urbain à 10 minutes, 20 minutes en milieu rural). Mais les temps de réaction des services de secours se sont détériorés, faisant perdre de la chance aux personnes assistées. L’UFC-Que Choisir a compilé les données 2018 de 70 départements (voir notre infographie). En moyenne, les pompiers arrivent sur un incendie en 32 minutes en Ariège, contre 12 minutes dans le Puy-de-Dôme. Il leur faudra 21 minutes dans l’Aude pour intervenir après un accident, mais seulement 11 minutes dans le Rhône.
Une crise des vocations
Selon l’association de consommateurs, plusieurs raisons expliquent cet allongement des délais : les interventions continuent de progresser d’année en année (en France, une toutes les 7 secondes) ; les effectifs sont en baisse (la clé de voûte du système repose sur les sapeurs-pompiers volontaires, moins disponibles et plus difficiles à recruter) ; enfin, le système peine à se réorganiser (le sauvetage des personnes est partagé entre les pompiers et le Samu). « Autant de points qui nécessitent… une intervention urgente des pouvoirs publics »conclut l’UFC-Que Choisir.
Les effectifs globaux officiels de sapeurs-pompiers (hors sapeurs-pompiers militaires de Paris et de Marseille) sont cependant stables, voire en légère augmentation depuis 2010 : environ 42 000 pour les professionnels ; 198 000 pour les bénévoles. Les chiffres de cette deuxième catégorie sont contestés par la CGT Sdis. « Nous sommes plus près de 177 000pèse Sébastien Delavoux, son secrétaire général.Les chiffres déclarés par les départements peuvent compter un bénévole qui donne deux heures comme celui qui peut intervenir 365 jours par an ; une personne disponible le week-end en tant que 7 jours sur 7. Ils incluent également les personnes qui ont suspendu leur volontariat mais qui peuvent administrativement prêter main-forte pendant encore cinq ans. » De plus, ces chiffres sont loin d’être garantis pour l’avenir. « Leur nombre n’a guère évolué depuis vingt ans alors que la population a augmenté »fait valoir le délégué syndical, qui y décèle une crise des vocations alors que les risques à couvrir, eux, ne connaissent pas la crise.
Une ubérisation de la sécurité civile
S’il manque ces personnels « volontaires » mais rémunérés, c’est tout le système qui échoue . « En cas d’incendie, 8 pompiers sur 10 sont volontaires. Nous sommes l’assurance tous risques la moins chère de France », ironise Christophe Sansou, de FO Sdis. Alors qu’un sapeur-pompier professionnel est un agent territorial rémunéré par un conseil départemental, le volontaire ne perçoit qu’une indemnité du Sdis. De 8,08 euros de l’heure d’intervention pour un sapeur de base à 12,15 euros pour un officier. « Ces indemnités sont justifiées, tout comme le retour au volontariat. Mais à certains endroits, les gardes de poste sont effectués par des bénévoles, et non plus par des professionnels », souligne Christophe Sansou . Selon lui, de nombreux Sdis préfèrent le volontariat, car il n’y a ni contrat de travail, ni cotisations sociales, ni assurance chômage, plutôt que de respecter le Code du travail. « On peut leur faire multiplier les missions, il continue . Les pouvoirs publics sont le premier employeur de travailleurs non déclarés en France. Mais ce système défectueux ne peut plus durer. »
Son homologue CGT partage le même constat : « Le système n’est pas illégal, mais les Sdis en abusent pour répondre à des besoins croissants. Il est par exemple tentant pour une commune qui a besoin d’un surveillant pour sa piscine d’engager un pompier volontaire plutôt qu’un sauveteur professionnel. Même l’Etat s’en mêle : pour faire face à la catastrophe de l’Erika (pétrolier Total qui a coulé en décembre 1999) il a versé des aides aux communautés sous forme d’allocations, et non de salaires », note Sébastien Delavoux. Ce dernier n’hésite pas à parler d’ubérisation de la sécurité civile : « Comme les coursiers à vélo de Deliveroo, les sapeurs enchaînant les missions pourraient très bien saisir la justice pour demander la requalification de leur travail en tant que salariés. »
La carte Sdis de France a de plus en plus de trous
Le système humain se grippe. La beauté de l’engagement vanté ces derniers temps par Emmanuel Macron et Gérald Darmanin ne suffit plus, et le recrutement de ces travailleurs sans droits se tarit. Pour ceux qui sont engagés sur le terrain, leur bonne volonté ne peut s’étendre à l’échelle des besoins. D’autant que leurs employeurs dans la vie civile ne sont pas tous prêts à les laisser partir plus longtemps. Quant au quota de sapeurs professionnels, il n’augmente pas, rigueur sur la dépense publique oblige.
A tel point que la carte Sdis de France comporte de plus en plus de trous. Le territoire le mieux défendu compte un sapeur pour 1 508 habitants, contre 1 pour 27 793 dans le département le moins armé. Selon la Cour des comptes, il manquerait à la Seine-et-Marne 10 % des effectifs (une quarantaine de personnes) prévus pour répondre au dispositif de prévention des risques. Jusqu’à présent, la solidarité entre départements a permis de combler les lacunes. « Heureusement qu’il n’y a pas eu de grand incendie dans le Sud-Est en même temps que les mégafeux de Gironde. Nous n’aurions pas pu faire face » nous confiait récemment un pompier des Landes.
Les Canadair dépendent du bon vouloir de l’industriel Viking
Le pare-feu français vacille d’autant plus qu’il manque aussi de moyens matériels. Côté ciel, les Canadairs promis par le chef de l’État dépendent du bon vouloir de l’industriel viking, qui table sur un niveau de commandes supérieur aux besoins tricolores inscrits dans le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi) pour redémarrer. la fabrication de ses « réservoirs volants déversement ». Quant aux véhicules au sol, l’appel de la Cour des comptes à mutualiser les moyens entre services pour acquérir des véhicules de lutte contre l’incendie toujours plus chers (avec cabine anti-feu, anti-fumée, anti-renversement, etc.) a pris du temps. Feu. D’autant plus que ces camions sont soumis à la taxe sur les véhicules polluants, comme de vulgaires 4×4 ! Les élus locaux préfèrent souvent des machines plus polyvalentes, sorte de couteau suisse des interventions. Moins chers, ces quatre-roues sont forcément moins efficaces contre les incendies de forêt comme celui de Gironde.
« La politique nationale de prévention ne peut plus être une juxtaposition de politiques départementales. On ne peut plus se passer d’un grand débat national qui réponde à ces deux questions : à quoi sert un service public d’urgence ? Comment gère-t-on les risques ? » résume Sébastien Delavoux. En écho, Christophe Sansou appelle le gouvernement à« donner un nouveau souffle à un nouveau dispositif redimensionné pour répondre aux besoins, et permettre de nouvelles marges aux conseils départementaux désireux d’investir dans la protection de leur territoire ». L’élu FO propose des solutions : définir un nombre de sapeurs-pompiers professionnels sur le terrain en fonction des risques ; permettre aux collectivités locales de réaliser des investissements en supprimant les restrictions sur les charges de fonctionnement imposées par l’État dans le cadre de ses contrats avec les collectivités locales.
La question de la guerre du feu
Si des états généraux ou un Beauvau de la sécurité civile sont organisés à l’automne, la question de la guerre des incendies se posera. Là encore, le système de financement mériterait une mise à jour majeure. Pour l’heure, l’Etat verse une fraction de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (1,3 milliard d’euros au total) aux départements, qui, selon leur intérêt pour la prévention des risques, complètent à leur tour l’enveloppe versée à leur Sdis. D’où des moyens très disparates d’un territoire à l’autre. Dans le détail, ce mode de financement tourne parfois à l’absurde. La fraction versée par l’État à chaque département est ventilée selon leur nombre de véhicules d’urgence immatriculés… au 1 euh Janvier 2003. L’Oise et la Marne sont donc choyées : à l’époque, leurs centres de secours étaient bien équipés en véhicules puisque les vignettes auto (retirées en 2006) pour leurs véhicules étaient les moins chères de France. Quant aux territoires pauvres de l’époque, donc sous-équipés, ils restent, vingt ans plus tard, défavorisés par ce système. Outre-mer en tête.
New Grb1