Ouïghours : en marge des camps, ce tourisme « dépaysant » qui se développe au Xinjiang

Dans la vieille ville de Kashgar (nord-ouest de la Chine), capitale culturelle des Ouïghours, des vendeurs souriants grillent de savoureuses brochettes d’agneau, une spécialité locale, pendant que des enfants jouent dans les ruelles.
⋙ Les éléphants se donnent leur prénom lorsqu’ils s’appellent, selon une nouvelle étude
Au moins un million de Ouïghours dans les camps
« Avec sa longue histoire, sa riche culture et son architecture unique, la vieille ville est le cœur et l’âme de Kashgar »s’enthousiasme un guide ouïghour devant un groupe de touristes visiblement conquis.
La majorité sont des Chinois Han, le groupe ethnique majoritaire en Chine. Certaines organisations de défense des droits humains accusent les autorités de réprimer la minorité indigène ouïghoure du Xinjiang.
Après une série d’attentats sanglants attribués par Pékin à certains Ouïghours dans ce vaste territoire frontalier de l’Asie centrale, les autorités y imposent depuis plus d’une décennie des mesures draconiennes au nom de l’antiterrorisme.
⋙ Un palais maya vieux de 1 500 ans caché par la jungle révélé au Mexique
La Chine est soupçonnée d’y avoir été interné « camps de rééducation » au moins un million de personnes, notamment musulmanes, selon les organisations. Pékin dément ce chiffre et parle de « centres de formation professionnelle » destiné à lutter contre la radicalisation islamiste.
Cela n’empêche pas le Xinjiang, terre de mixité des populations et réputée pour son patrimoine et ses espaces naturels, de vouloir attirer les touristes, grâce à une nette amélioration des conditions de sécurité.
⋙ Des chercheurs développent un moteur de 2 litres fonctionnant entièrement à l’hydrogène
« Une famille nombreuse »
A Kashgar, dépaysement garanti. Des dizaines de boutiques offrent aux touristes la possibilité d’immortaliser leur séjour avec des photos en tenue traditionnelle locale. De nombreuses agences de voyages proposent également des spectacles de danses et de chants traditionnels, un grand classique des circuits touristiques.
« Beaucoup de touristes aiment tellement cet endroit qu’ils reviennent, créent des entreprises (…) et s’installent avec d’autres minorités comme une grande famille »insiste le guide, reprenant une expression régulièrement utilisée par les autorités pour vanter le multiculturalisme de la région.
⋙ « Le divorce par combat » : une pratique médiévale rare, mais (vraiment) très curieuse
Des propos qui contrastent avec le terrain : il y a plusieurs années, les autorités locales avaient interdit aux femmes ouïghoures de porter le voile islamique et aux hommes de se laisser pousser la barbe.
Quant au Grand Bazar de Kashgar, où des milliers de commerçants vendaient autrefois des tissus, des épices et d’autres marchandises dans une ambiance typique d’Asie centrale, il a été rasé l’an dernier.
Détourner le regard grâce au tourisme
Le gouvernement a longtemps considéré le tourisme comme un moyen de développer le Xinjiang, une région riche en ressources mais historiquement moins avancée que le reste de la Chine en raison notamment de sa situation géographique.
L’Office local du tourisme prévoit d’investir cette année plus de 700 millions de yuans (89,2 millions d’euros) pour attirer les touristes. Plus du double par rapport à 2019. Dans tout le Xinjiang, de nouveaux projets sont en cours, que ce soit des hôtels de luxe, des campings ou des parcs.
Selon le Quotidien du Peuple, un journal public, 12,6 milliards de yuans (1,6 milliard d’euros) d’accords ont été signés par de grandes marques hôtelières occidentales, comme Hilton, Sheraton et InterContinental. Le tourisme permet également à Pékin de répondre aux critiques sur ses prétendus obstacles aux droits de l’homme au Xinjiang.
« Le peuple semble-t-il opprimé ? La ville ressemble-t-elle à une prison à ciel ouvert comme le prétendent les Etats-Unis ? », feignait de s’interroger en juillet sur Twitter) un journaliste d’un média d’Etat chinois, filmé avec des habitants de Kashgar en train de danser.
⋙ Gros coup dur en Ukraine : la base russe de Sébastopol touchée, un sous-marin et un navire touchés ou coulés
Pratiques liées à la religion musulmane interdites
Mais en dehors des circuits touristiques, une équipe de l’AFP a repéré en juillet dans un cimetière de Yengisar une pancarte interdisant de pratiquer des « activités religieuses » dans l’enceinte. S’agenouiller, se prosterner ou prier à genoux avec les paumes tournées vers le ciel font partie des gestes interdits, selon des dessins qui détaillent les interdictions des pratiques musulmanes.
Certaines restrictions sont également décrétées pour les adeptes de la religion traditionnelle chinoise, mais les offrandes et cérémonies discrètes restent possibles. Dans les environs de Kashgar, une dizaine de mosquées visitées par l’AFP étaient fermées ou en état d’abandon.
⋙ Voici 5 façons simples d’être éco-responsable lors de vos prochaines vacances
« Aimez le pays, aimez la fête »
Certaines semblent avoir été dépouillées de leurs minarets. Beaucoup, cependant, affichent des banderoles avec le slogan « aimez le pays, aimez le Parti » Communiste chinois.
Un vendredi, jour saint dans le monde musulman, pas plus d’une vingtaine de Ouïghours, pour la plupart âgés, sont vus dans l’emblématique mosquée Id Kah de Kashgar, la plus grande de Chine, où les touristes sont bien plus nombreux. Ce jour-là, trois autres mosquées voisines étaient fermées.
Les fermetures de lieux de culte au Xinjiang ont été « inutile jusqu’à la récente vague de répression » qui a débuté en 2017, a expliqué à l’AFP l’historien Rian Thum de l’université de Manchester (Royaume-Uni).
Désormais, « la destruction de sites religieux (…) fait partie d’un ensemble plus large de politiques qui transforment le paysage et déconnectent la culture ouïghoure » du Xinjiang, affirme cet expert des Ouïghours.
⋙ Pourquoi le « robot doux » Sensiworm pourrait révolutionner la maintenance des réacteurs
C’est à la périphérie de Kashgar, où se trouvent la plupart des prétendus camps d’internement, que l’on trouve les traces les plus claires de la politique de Pékin. Si certains semblent abandonnés ou reconvertis, d’autres semblent encore opérationnels. Et ils embarrassent les autorités lorsqu’ils sont découverts. « Ne prenez pas de photos! »crie dans une voiture banalisée qui suit une femme non identifiée AFP. « Ce n’est pas autorisé ici. »
Sur le même sujet :
⋙ Comprendre la répression des Ouïghours par le régime chinois
⋙ Du génocide arménien aux Ouïgours, retour sur les génocides à travers le monde
⋙ Pour briser la dissidence ouïghoure à l’étranger, la Chine prend des familles en otages
GrP1