Macron face à une France en colère seule

PARIS — « Nous avons un président qui use d’un coup d’État permanent. » C’était le verdict d’Olivier Faure, le chef du Parti socialiste français, après que le président Emmanuel Macron a fait adopter un projet de loi portant l’âge de la retraite en France de 62 à 64 ans sans un vote parlementaire complet la semaine dernière.
En fait, l’utilisation par M. Macron de « l’option nucléaire », comme l’a décrite la chaîne de télévision France 24, était entièrement légale en vertu de la Constitution française, élaborée en 1958 pour Charles de Gaulle et reflétant la ferme conviction du général selon laquelle le pouvoir devrait être centré sur le bureau du président, pas parmi les législateurs en conflit.
Mais la légalité est une chose et la légitimité une autre. M. Macron peut considérer sa décision comme nécessaire pour cimenter son héritage en tant que dirigeant qui a quitté la France prêt à affronter le reste du XXIe siècle. Mais pour beaucoup de Français, cela ressemblait à un diktat présidentiel, une tache sur sa réputation et un coup porté à la démocratie française.
Le Parlement a répondu par deux motions de censure au gouvernement de M. Macron. Il est peu probable qu’ils soient confirmés lors du vote des législateurs la semaine prochaine en raison des divisions politiques au sein de l’opposition, mais ils sont l’expression d’une profonde colère.
Six ans après le début de sa présidence, entouré de brillants technocrates, M. Macron fait figure de solitaire, son silence hautain bien visible en ce moment de tourmente.
« Il a réussi à contrarier tout le monde en occupant tout le centre », a déclaré Jacques Rupnik, politologue. « L’attitude de Macron semble être : Après moi, le déluge. »
Cet isolement était évident alors que deux mois de manifestations et de grèves qui ont laissé Paris jonché d’ordures ont culminé jeudi dans la panique soudaine d’un gouvernement qui avait cru que le vote sur les retraites était un slam dunk. Soudain, les doutes de l’empereur ont été exposés.
M. Macron pensait pouvoir compter sur les républicains de centre-droit pour voter son plan à l’Assemblée nationale, la chambre basse du Parlement. Deux des membres les plus puissants de son gouvernement, le ministre des Finances Bruno Le Maire et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, sont issus de ce parti. Les républicains avaient prôné la retraite encore plus tard, à 65 ans.
Pourtant, par un mélange de calcul politique à la lumière des vagues de protestation et de dépit envers l’homme qui avait sapé leur parti en construisant un nouveau mouvement du centre, ils ont commencé à abandonner M. Macron.
Faire échouer sa refonte de la retraite était un risque que même Macron, le preneur de risques, ne pouvait pas prendre. Il a opté pour une mesure, connue sous le nom de 49.3 du nom de l’article pertinent de la Constitution, qui permet de voter sans vote certains projets de loi. L’âge de la retraite en France passera à 64 ans, plus en ligne avec ses partenaires européens, à moins que la motion de censure ne passe.
Mais ce qui aurait ressemblé à une victoire déterminante pour M. Macron, même si le vote parlementaire favorable avait été étroit, ressemble maintenant à une victoire à la Pyrrhus.
Quatre années supplémentaires au pouvoir s’étendent devant M. Macron, avec «M. 49.3″ estampillé sur son front. Il a fait rêver les Français lorsqu’il a été élu à 39 ans en 2017 ; comment il peut le faire à nouveau n’est pas clair.
« L’idée que nous ne sommes pas dans une démocratie a grandi. C’est là tout le temps sur les réseaux sociaux, en partie théorie du complot, en partie expression d’une profonde anxiété », a déclaré Nicolas Tenzer, auteur qui enseigne les sciences politiques à Sciences Po. « Et, bien sûr, ce que Macron vient de faire alimente cela. »
Le porte-parole du gouvernement est Olivier Véran, également ministre délégué au renouveau démocratique. Il y a une raison à ce titre auguste : une croyance largement répandue qu’au cours des six années de présidence Macron, la démocratie française s’est érodée.
Après que le mouvement de contestation des gilets jaunes ait éclaté en 2018 contre une hausse du prix de l’essence mais aussi un élitisme que M. Macron semblait incarner, le président s’est lancé dans une « tournée d’écoute ». C’était une tentative de se rapprocher des travailleurs dont il avait semblé dédaigneux.
Maintenant, près d’un an après le début de son deuxième mandat, cette sensibilisation semble lointaine. M. Macron a à peine jeté les bases de sa mesure sur les retraites même s’il savait bien que cela toucherait un nerf français profond en période de difficultés économiques. Sa poussée pour une retraite ultérieure a été descendante, accélérée à chaque tournant et, à la fin, impitoyable.
Les arguments en faveur de la refonte étaient solides. Ce n’était pas seulement pour M. Macron que la retraite à 62 ans semblait intenable alors que les vies s’allongeaient. Le calcul, du moins à plus long terme, ne tient tout simplement pas dans un système où le ratio de travailleurs actifs par rapport aux retraités qu’ils soutiennent par le biais de leurs charges sociales ne cesse de baisser.
Mais dans une France anxieuse, avec de nombreuses personnes qui peinent à payer leurs factures et qui ne sont pas sûres de leur avenir, M. Macron ne pouvait pas faire valoir l’argument. En fait, il semblait à peine essayer.
Bien sûr, l’attitude française à l’égard d’une présidence puissante est notoirement ambiguë. D’une part, le bureau quasi-monarchique semble satisfaire certains désirs français d’un État tout-puissant – c’est un roi français, Louis XIV, qui aurait déclaré que l’État n’était autre que lui-même. D’autre part, la présidence est ressentie pour l’étendue de son autorité.
M. Macron a semblé saisir cela lorsqu’il a déclaré à son cabinet jeudi : « Parmi vous, ce n’est pas moi qui risque sa place ou son siège ». Si le gouvernement tombe lors d’un vote de censure, Élisabeth Borne ne sera plus Premier ministre, mais M. Macron restera président jusqu’en 2027.
« Un coup d’État permanent », disait M. Faure, était aussi le titre d’un livre que François Mitterrand a écrit pour décrire la présidence de de Gaulle. C’était avant que M. Mitterrand ne devienne lui-même président et, avec le temps, il ne jouisse de toute la pompe et de la puissance de sa fonction. M. Macron ne s’est pas montré plus imperméable aux tentations de la présidence que ses prédécesseurs.
Mais les temps changent, les hiérarchies sociales tombent et l’exercice de son autorité par M. Macron a suscité un fort ressentiment dans une société française plus plate à un moment de tension provoquée par la guerre en Europe.
« Il y a un rejet de la personne », a déclaré M. Tenzer. Le quotidien Le Monde notait dans un éditorial que M. Macron risquait de « favoriser une amertume persistante, voire de déclencher des étincelles de violence ».
D’une certaine manière, M. Macron est victime de son propre succès remarquable. Ses dons politiques sont tels qu’il a été élu pour deux mandats – aucun président français ne l’avait fait depuis deux décennies – et a effectivement détruit les deux piliers politiques de la France d’après-guerre : le Parti socialiste et les gaullistes.
Il est donc ressenti par le centre gauche et le centre droit, alors même qu’il est détesté par l’extrême gauche et l’extrême droite.
Maintenant dans son dernier mandat, il doit marcher sur une route solitaire. Il n’a pas de successeur évident et son parti de la Renaissance n’est guère plus qu’un véhicule pour ses talents. C’est le « déluge » dont parlait M. Rupnik : un vaste vide politique qui se profile en 2027.
Si Marine Le Pen de l’extrême droite ne veut pas le combler, M. Macron le réformiste doit livrer la France résiliente et dynamique pour laquelle il estime que sa réforme très contestée était un fondement essentiel.
Aurélien Breeden et Tom Nouvian reportage contribué.
nytimes Eu