Macron découvre la démocratie à l’Assemblée, et forcément ça bloque…

Au départ, les projets d’Emmanuel Macron étaient simples. Premier à être réélu à la tête de l’Etat en avril, misant tout sur un duel au second tour face à Marine Le Pen et sur le réflexe républicain des électeurs de gauche. Ensuite, tapotez comme un sourd sur ce même barrage d’électeurs pour renouveler une majorité de députés fidèles à l’Assemblée nationale. Enfin, s’assurer un second quinquennat confortable pour réformer à loisir, libéré de la pression d’une réélection en 2027. Mais le projet jupitérien a dévié de son orbite. Aux élections législatives, les Français ont refusé au président de la République la majorité absolue qu’il réclamait.
La pilule a du mal à passer. Pendant trois jours, le chef de l’État est resté silencieux, consultant de toutes ses forces à l’Élysée son entourage proche, puis les chefs des principaux partis d’opposition représentés à l’hémicycle. C’est à ses lieutenants de meubler, à l’instar de la porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire, exprimant sur tous les plateaux sa « peur du blocage » : « pour éviter cela, il va falloir s’ouvrir à toutes celles et ceux qui veulent faire bouger le pays vers l’avant.
Pourtant, le pays s’est déjà trouvé dans une configuration similaire, sous François Mitterrand après les élections législatives de 1988, et même sous Valéry Giscard d’Estaing, entre 1974 et 1979 – puisque c’est le RPR et non le parti présidentiel qui était au pouvoir. majorité. « On confond instabilité parlementaire et instabilité politique, analysait le constitutionnaliste Benjamin Morel pour « l’Humanité ». La Constitution est également construite pour gérer ce type de situation. Ce n’est donc pas forcément une mauvaise nouvelle, des coalitions très plurielles existent dans de nombreux pays européens. Paradoxalement, avoir une Assemblée plus représentative peut conduire à plus de stabilité politique. Le pays n’est donc pas ingouvernable ; d’autre part, il n’est plus gouvernable comme lors du précédent quinquennat. Emmanuel Macron, qui a promis « un nouveau mode de gouvernance » lors de sa campagne présidentielle, devra s’y mettre plus tôt que prévu.
Gros flou et lignes rouges
Le 22 juin, le chef de l’Etat reprend l’exercice de l’allocution présidentielle. « Comme en Allemagne ou en Italie, aucune force politique ne peut faire les lois seule, a-t-il admis, peinant à cacher sa déception face aux résultats du scrutin, devant les quelque 15,5 millions de téléspectateurs devant leur télé ce soir. la. Je ne peux passer sous silence les fractures qui traversent le pays et se retrouvent à l’Assemblée nationale. Et le président de la République d’appeler à « construire une majorité plus large, construire de nouveaux compromis ».
Pas question toutefois d’interpréter les résultats comme un pied de nez à sa politique. Emmanuel Macron brandit la légitimité tirée de l’élection présidentielle comme un bouclier. « Nous devons continuer à dépasser avec clarté et responsabilité. La clarté signifie ne jamais perdre de vue le projet que vous avez choisi en avril dernier. Echappée, la part importante des votes par défaut qui l’a ramené au pouvoir, et ne vaut pas la peine de valider sa politique. « Votre vote m’oblige », avait-il pourtant lancé le soir de sa réélection, à l’adresse des électeurs de gauche… Le 22 juin, Emmanuel Macron a préféré réaffirmer les grands axes de son programme, listant sans plus de détails un loi pour le pouvoir d’achat et « mesures fortes pour l’hôpital ». Le chef de l’Etat ne sera pas plus précis. En revanche, ces réformes « ne doivent pas générer plus d’impôts ni plus de dettes », a-t-il averti. Bref, son programme de réélection est non négociable, seulement amendable.
Avec ce cadre en place, avec qui Emmanuel Macron peut-il gouverner ? Le chef de l’Etat a exclu la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, après en avoir discuté avec l’opposition. Au contraire, il a renouvelé sa confiance à la Première ministre, Elisabeth Borne, fragilisée par les résultats nationaux et sa victoire ric-rac dans sa circonscription du Calvados. Le locataire de Matignon devra, d’ici début juillet, proposer des noms pour un « nouveau gouvernement d’action ». Et trouver des remplaçantes pour Brigitte Bourguignon (Santé), Amélie de Montchalin (Transition écologique) et Justine Bénin (Mer), battues aux législatives. Le 5 juillet, elle devra aussi prononcer un discours de politique générale devant l’Assemblée. La gauche exige qu’elle se soumette à un vote de confiance, mais elle n’a aucune obligation constitutionnelle de le faire. Dans le cas contraire, les Nupes déposeraient alors une motion de censure.
« Il essaie de fracturer les Nupes »
Emmanuel Macron devra donc composer au cas par cas en fonction des textes. Compte tenu de ses orientations politiques – retraite à 65 ans, réforme du RSA – tous les regards se tournent naturellement vers la droite, vers LR. Le parti de droite refuse de « se vendre à la Macronie » mais est prêt à voter la réforme des retraites. Et le RN, avec ses 89 députés ? Après avoir appelé au travail « avec toutes les forces politiques de l’Assemblée nationale » le 22 juin, Emmanuel Macron a estimé le 25 juin que ses alliés potentiels sont finalement passés « des communistes à LR ». Le chef de l’Etat renvoie RN et La France insoumise dos à dos, les qualifiant d' »extrémistes qui ne sont pas des partis de gouvernement ». Ce faisant, le président de la République tente de fracturer les Nupes en séparant le FI de ses alliés. « De quel droit ? », a réagi André Chassaigne, président du Groupe des communistes et apparentés (GDR). Je n’accepte pas qu’on décerne des diplômes de vertu ou des valeurs républicaines, en diabolisant une autre composante des Nupes. Pas question, d’ailleurs, pour le PCF ou pour EELV ou le PS, entrer dans le gouvernement qui veut la retraite à 65 ans.
En se disant prêt à s’entendre avec la majorité de l’échiquier politique, Emmanuel Macron joue encore la carte du « dépassement ». Et de l’unificateur. La crise pouvait le permettre : après tout, c’est ainsi que de Gaulle avait envisagé la fonction présidentielle – au-dessus de la mêlée parlementaire. Surtout, en cas de blocage effectif, il pourra en imputer la responsabilité à l’opposition qui aurait refusé sa main tendue, plutôt qu’à son incapacité pathologique à entendre la colère et à influencer sa politique.
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