Les Françaises qui protestent contre la réforme des retraites disent qu’une autre façon de travailler est possible

Les syndicats français ont appelé mardi à une nouvelle série de grèves et de rassemblements pour protester contre la réforme des retraites du président Macron. Alors que le gouvernement insiste sur le fait que l’âge minimum de la retraite doit passer de 62 à 64 ans en fonction du vieillissement de la population, les opposants disent que c’est injuste et qu’il faut trouver d’autres solutions pour maintenir la cagnotte des pensions dans le noir.
« Des soignants de 64 ans s’occupant de résidents de 60 ans en EHPAD ? Merci Macron », lit-on sur l’une des pancartes marquantes du rassemblement du 19 janvier à Paris.
« Bientôt, on ne fera plus la différence entre résidents et soignants », ironise sa propriétaire Sylvie Pécard.
Pécard, 59 ans, infirmier au service d’oncologie de l’hôpital St Louis à Paris, travaille de nuit depuis 1994.
Quand elle a commencé en soins infirmiers, vous pouviez prendre votre retraite à 57 ans, même si vous n’obteniez pas une pension complète, explique-t-elle. Ensuite, il est passé à 62 et maintenant il est fixé à 64.
Elle pense que cela est injuste en principe et presque impossible en pratique.
« Ce qui est étrange, c’est que notre travail n’est plus classé comme ‘physiquement difficile’, même si nous travaillons toujours de nuit et que nous nous occupons toujours de patients difficiles », dit-elle.
« On les ramasse quand ils tombent, on transporte des sacs de 3L de liquide. On pousse des lits partout. »
Elle dit que beaucoup de ses collègues ont subi une arthroplastie du genou à l’âge de 57 ans.
« Ils sont malades et épuisés. Le travail de nuit est particulièrement épuisant. Contrairement à ce que les gens pensent, nous ne nous reposons pas, nous continuons à soigner les patients.
« Comment peut-on s’attendre à ce que nous passions à 64 ? »
De plus, elle doute d’avoir droit à une retraite à taux plein car comme beaucoup de femmes, elle « a fait une pause pour élever des enfants », soulignant que « même s’il y a plus d’infirmiers aujourd’hui, les soins infirmiers restent un métier largement féminin ».
Écoutez un reportage sur les manifestations dans le podcast Pleins feux sur la France
« Pas sûr qu’on se tienne debout »
La garde d’enfants est aussi un métier féminisé.
Anne-Emmanuelle Rigaudière, puéricultrice de 55 ans à Paris, manifeste pour la première fois contre le relèvement de l’âge de la retraite et s’apprêtait à perdre une journée de salaire.
Elle estime qu’elle serait inapte à s’occuper de bébés et de tout-petits à l’âge de 64 ans.
« C’est la première fois que je fais grève, mais cela me semblait important. Nous travaillons avec de jeunes enfants et je ne peux pas imaginer manipuler des bébés avant 64, peut-être 67.
« Je ne suis pas sûre que nous nous tiendrons même debout », dit-elle.
Elle n’est pas convaincue par l’argument du gouvernement selon lequel les gens doivent travailler plus longtemps pour empêcher le fonds de pension du pays de chuter de 20 milliards d’euros dans le rouge d’ici 2030.
« On peut peut-être trouver l’argent ailleurs », rétorque-t-elle. « Quand c’est nécessaire, nous le faisons. »
Les bénéfices records de certaines des plus grandes entreprises françaises en 2021, notamment dans le secteur de l’énergie, ont contribué à un sentiment d’injustice et conduit à des appels à une augmentation de la fiscalité des entreprises.
Cependant, cela reviendrait à une refonte radicale du système de retraite redistributif actuel en France.
« Il ne s’agit pas que de moi »
L’opposition à l’augmentation proposée de l’âge de la retraite ne se limite pas aux travailleurs du secteur public.
La libraire Sophie Fornairon est venue avec ses collègues féminines manifester pour la première fois depuis le rassemblement de Charlie Hebdo en janvier 2015.
La réforme, dit-elle, « n’est pas juste, n’est pas nécessaire financièrement pour le moment, et personne n’en veut, dans ce format ».
Elle aime son travail mais insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de sa propre situation.
« En tant que libraire, je suis contente de mon travail. Mais j’ai de la chance d’être heureuse », dit-elle.
« Le problème, c’est pour les gens malheureux. C’est pour les jeunes femmes et c’est pour les jeunes qui commencent à travailler très tôt dans leur vie. Quel sera leur avenir ? »
Sa collègue de 27 ans, Bulle Prévost, est en effet inquiète pour la sienne.
« J’ai commencé à travailler à 24 ans. Si on calcule bien, je travaillerai jusqu’à 67 ans », dit-elle. « Et porter des livres lourds toute la journée, ce ne sera pas OK quand j’aurai 63, 65 et 67 ans. »
Une autre façon de travailler est possible
Le gouvernement aime comparer la France à ses voisins de l’UE pour montrer à quel point il serait normal de faire travailler les gens plus longtemps. En Allemagne, l’âge minimum légal est de 65 ans, au Royaume-Uni de 66 ans et en Italie de 67 ans.
« Cla comparaison n’est pas raison« , carillonne Fornairon en référence à un dicton français signifiant qu’une comparaison ne prouve pas que quelque chose est juste.
« Ce n’est pas parce que dans d’autres pays ils doivent travailler toute leur vie que c’est bien. Ce n’est pas ce que nous voulons. Et ce n’est pas nécessaire. Un autre mode de vie et de travail est possible.
« Alors les libraires allemands, les libraires britanniques nous suivent ! »
Faites le tour de la table
Fornairon admet que le financement des retraites est un problème, mais « il n’y a pas qu’une seule solution » et relever l’âge de la retraite n’a pas de sens à long terme.
« La population française vieillit de plus en plus. Cela veut-il dire que dans 10 ans il faudra passer de 67 à 70 et 10 ans plus tard à 80 ? C’est un non-sens. »
La France doit inventer « d’autres manières de penser comment payer nos retraites à l’avenir ».
Une option consisterait à amener les retraités à cotiser davantage en réduisant effectivement leurs pensions.
Le gouvernement a carrément tranché.
« Notre objectif est de financer cette réforme par le travail, pas de couper le pouvoir d’achat des retraités, quels qu’ils soient, quels que soient leurs revenus », a déclaré le 15 janvier le ministre du Travail Olivier Dussopt.
Bien qu’il y ait un réel besoin de se mettre autour de la table et de parler, Fornairon estime qu’il n’y a eu « aucune discussion, aucune négociation et c’est personnellement pourquoi je suis ici dans la rue ».
Le gouvernement insiste sur le fait qu’il ne bougera pas sur l’âge minimum de 64 ans et l’exigence de 43 ans de cotisations. Mais Dussopt se dit ouvert à des améliorations du reste du projet de proposition lors des discussions parlementaires qui débutent début février.
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