L’épopée du « Marion Dufresne », un ravitailleur

Chaque hiver austral – c’est-à-dire l’été dans l’hémisphère nord – le Marion Dufresne s’aventure dans des mers hostiles, avec parfois des creux de 15 mètres, des vents hurlants et rugissants. Ce navire océanographique, le deuxième à porter le nom de Marc Joseph Marion du Fresne, explorateur français du XVIIIe siècle, fournit des confettis français des océans Indien et Austral, des îles Kerguelen, Crozet, Amsterdam ou Tromelin, Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Depuis son lancement en 1995, il a parcouru environ 160 000 km chaque année, soit l’équivalent de quatre fois le tour du monde. En 2032, après trente-sept ans de service, ce bateau de 120 mètres, le plus grand de la flotte océanographique française (lire les marques)seront démobilisés.
Une échéance encore lointaine pour Ganor Ginat, 51 ans, l’un des deux capitaines à se relayer à bord. « De nombreux marins français ont l’espoir de naviguer un jour sur ce navire à l’aura particulière, il explique. la Marion Dufresne, en plus de fournir les TAAF, participe à de nombreuses missions océanographiques pour l’Ifremer, ce qui permet de rencontrer des chercheurs et techniciens qu’on ne rencontre pas sur les autres navires de la marine marchande. » Une soixantaine de scientifiques embarquent à chaque expédition, aux côtés d’un équipage d’une quarantaine de marins. Un huis clos propice au partage des connaissances.
La dernière campagne océanographique de l’Ifremer, intitulée École bleue outre-mer, a également mobilisé 75 jeunes, étudiants scientifiques, artistes en herbe et lycéens en formation maritime, de La Réunion, de Mayotte et des pays d’Afrique de l’Est. « Une école flottante sur le mythique Marion Dufresne, quelle bonne idée! Un bateau c’est une petite planète, on y découvre mille choses et bien plus vite qu’ailleurs. s’enthousiasme à bord le navigateur Roland Jourdain, fondateur du Fonds Explore, parrain de l’expédition. Du 28 juin au 27 juillet, ils ont vécu une campagne océanographique continentale dans le sud-ouest de l’océan Indien.
« Nous avons travaillé sur des volcans sous-marins, le mont La Pérouse, au nord de la Réunion, et pour la toute première fois le mont La Feuillée, tout près de l’île de Tromelin, accueille le géologue Stéphan Jorry, co-responsable scientifique de la campagne. Nous disposions de divers outils, comme une caméra sous-marine tractée par le navire, une drague à roche pour échantillonner le substrat rocheux, ou encore une bathysonde qui permet de faire des mesures de fluides dans la colonne d’eau. » Il a lui-même découvert « ce bateau mythique » lors d’un post-doctorat, en 2005, aux côtés d’étudiants d’Océanie et d’Asie.
la Marion Dufresne est à l’origine de plusieurs avancées scientifiques. La découverte de l’éruption, entre mai 2018 et mai 2019, d’un volcan sous-marin de 800 mètres de haut et de 5 km de diamètre. Ou la compréhension du changement climatique, grâce à des carottes de plus en plus grosses dans les fonds marins (un record du monde sera même battu en 2019, au large de Crozet, avec une carotte de 69,73 m de long).
La dureté des conditions de navigation retarde cependant parfois certaines opérations, et ne facilite pas toujours la vie à bord. « Une année, nous avons eu un temps si terrible que je n’ai pu décharger que 25 % des fournitures », se souvient Patrice Rannou, 61 ans, chef de la sûreté du navire depuis 2006. « Nous n’avons pu débarquer que les hommes, leur cantine, et embarquer ceux qui partaient, il se souvient. Nous sommes toujours dans un environnement difficile, ce qui nous incite à anticiper afin de trouver un plan B, un plan C, ou un plan D, pour régler les problèmes et surtout faire revenir les gens en toute sécurité. »
Marion Dufresne II, construit sur le modèle du premier (1972-1995), sera-t-il suivi d’un numéro III après 2032 ? La réponse, selon nos sources, n’existe pas encore. » La Mario III ? C’est difficile de dire comment ça va se passer, c’est une question qui se pose en haut lieu », estime Patrice Rannou. Qui prendra sa retraite en 2024, bien avant celle de son navire fétiche.
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