Le tunnel sous la Manche en dix dates clés

« C’est un projet très ancien, rapporte l’architecte et historien Bertrand Lemoine, auteur de Tunnel sous la Manche (Monitor, 1990, reed. 1994) et Sous la Manche, le tunnel (Gallimard, 1989). En effet, depuis le début du 19ème siècle, il y a eu 139 projets de tunnel sous la Manche ! À l’époque napoléonienne, on pensait envahir l’Angleterre plus facilement que par bateau. On y voit alors un intérêt lié au développement du commerce et du transport ferroviaire. Progressivement, cette idée utopique va se concrétiser au cours des XIXe et XXe siècles.
1880-1883 : première tentative de construction ratée
Deux sociétés (l’Association française du tunnel sous-marin entre la France et l’Angleterre côté français et The Channel Tunnel Company côté britannique) obtiennent en 1874 une concession pour un tunnel ferroviaire et tentent de creuser des galeries d’essai pour les deux. côtés de la Manche.
Le projet est abandonné faute de fonds en 1883, victime de la Grande Dépression et de la crainte d’une invasion française aux côtés de l’armée britannique. Les galeries commencées sont murées.
1967-1971 : deuxième tentative ratée
Dans la foulée de la création de la CEE, un Groupe d’Etude du Tunnel sous la Manche (GETM) est créé le 26 juillet 1957. Il opte après un appel d’offres pour un projet ferroviaire à double tunnel.
Dès 1973, de nouvelles galeries d’essai sont creusées, avant d’être abandonnées l’année suivante « pour des raisons politico-économiques, explique Bertrand Lemoine : alors en pleine crise économique, le Royaume-Uni ne voulait pas construire un TGV coûteux sur son territoire. ”
12 février 1986 : Traité de Cantorbéry
Le projet renaît dans les années 1980, avec l’arrivée de François Mitterrand à l’Élysée. La France et l’Angleterre reprennent alors leurs discussions et signent le traité de Cantorbéry le 12 février 1986 « dans l’enthousiasme de la construction européenne, souligne Bertrand Lemoine : le Parlement français ratifie le traité à l’unanimité ». Ce dernier concerne notamment la frontière entre les deux pays et impose de nombreuses contraintes de sécurité et de financement : la décision est ainsi prise de recourir à des fonds privés sans garanties gouvernementales.
En toile de fond, la volonté française de créer ce tunnel se heurte à une certaine réticence britannique, celle-là même qui avait provoqué l’abandon du premier projet. « Les Français ont beaucoup poussé le projet, tandis que les Anglais ont traîné des pieds tant politiquement qu’économiquement. »
Le projet retenu, Eurotunnel, est le moins cher de l’appel d’offres, mais s’élève tout de même à 48 milliards de francs. Un budget initial qui sera doublé d’ici la fin du projet, « comme dans toutes les grandes infrastructures », souligne Bertrand Lemoine. L’augmentation progressive des coûts donnera ainsi lieu à une succession de levées de fonds, et Eurotunnel frôlera la faillite en 2007, avant de parvenir à se redresser grâce à la renégociation de sa dette avec ses actionnaires.
15 mai 1986 – 10 décembre 1993 : début du chantier du Tunnel sous la Manche
« La construction s’est faite assez facilement, rapporte l’historien. Le modèle était simple : deux grands tunnels parallèles à sens unique, avec un petit tunnel intermédiaire relié aux autres, destinés à permettre aux passagers de sortir par la voie de service en cas d’incendie.
La difficulté inédite du site réside dans sa profondeur : 50 mètres sous le fond de l’océan. Aidés par de vastes tunneliers de plusieurs mètres de diamètre, les ouvriers doivent gratter la terre, puis l’évacuer vers la sortie grâce à un système de rails. Au fur et à mesure de leur progression, à la vitesse record de 1 km/mois, ils tapissent le mur de voussoirs en béton pour former un mur intérieur. Tout est renforcé et étanche pour résister à l’humidité du sol et à la forte pression de l’eau.
1er décembre 1990 : la jonction
Les deux nations se rencontrent le 1er décembre 1990 pour un moment historique : une poignée de main à 100 mètres sous le niveau de la mer. L’honneur revient au Britannique Graham Fagg et au Français Philippe Cozette, qui sont immortalisés par les caméras du monde entier.
« Le « projet du siècle » s’est finalement réalisé assez rondement, salue Bertrand Lemoine. Les 12 000 ouvriers ont réussi à creuser le tunnel en sept ans, sans accident ni surprise particulière. Il a permis de tester à grande échelle l’utilisation des tunneliers, qui sont utilisés aujourd’hui, par exemple pour le forage du métro du Grand Paris.
6 mai 1994 : inauguration du Tunnel sous la Manche
La reine Elizabeth II d’Angleterre et le président François Mitterrand ont coupé le ruban symbolique au terminal français de Coquelles, Pas-de-Calais. Ils empruntent ensuite le tunnel en navette, à bord des Royal Rolls, avant de doubler la cérémonie côté britannique, au terminal de Cheriton, près de Folkestone. L’événement, à forte dimension symbolique, se termine par un feu d’artifice.
« Cette réalisation est un atout majeur pour le renforcement de l’Union européenne, déclarait alors François Mitterrand. Un élément décisif dans l’élaboration et la mise en œuvre du marché unique, une étape pour le rapprochement ultérieur des peuples eux-mêmes. Le tunnel est un lien définitif entre la Grande-Bretagne et le continent.
1er juin 1994 : ouverture au service commercial
En 2019, après un quart de siècle de service, le tunnel sous la Manche assure 25 % des échanges entre le Royaume-Uni et l’Europe continentale, selon le groupe Getlink, propriétaire d’Eurotunnel. Les chiffres sont colossaux : 400 trains par jour, 20 millions de voyageurs par an… Mais le tunnel sous la Manche sera touché de plein fouet par le Brexit, puis par la crise sanitaire qui fera chuter le trafic de véhicules voyageurs de 47 % entre la France et l’Angleterre en 2020, et 9% celle des poids lourds.
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