le problème majeur des travailleurs sans papiers

L’article 3 du projet de loi sur l’immigration, porté par Gérald Darmanin, prévoit l’octroi d’un titre de séjour aux étrangers qui travaillent illégalement en France dans des secteurs en pénurie de main d’œuvre, comme le bâtiment ou les travaux publics. Restauration. La droite, dont la majorité a besoin pour faire adopter le texte, s’y oppose, tandis que l’aile gauche de la macronie y est farouchement attachée. Explications.
Entre l’aile gauche de sa majorité relative à l’Assemblée nationale et la droite, le gouvernement devra choisir. Alors que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, travaille depuis des mois sur son projet de loi sur l’immigration, la création d’un titre de séjour pour les sans-papiers travaillant en France dans des métiers en tension, proposée à l’article 3, est au cœur d’un bras de fer. .
Si les députés et sénateurs des Républicains (LR) applaudissent des deux mains la volonté de l’exécutif de légiférer une nouvelle fois pour accélérer les expulsions des étrangers délinquants vers la frontière, ils sont en revanche farouchement opposés à toute régularisation des sans-papiers. Si elle devait être adoptée telle quelle, cette loi provoquerait, selon eux, « un coup d’air » qui entraînerait davantage d’immigration clandestine. Ils refusent donc de voter la loi si l’article 3 est maintenu et menacent même d’une motion de censure.
Voir égalementProjet de loi immigration : les sans-papiers exerçant un « métier en tension » dans une impasse
« Je n’ai pas peur de faire tomber ce gouvernement », a déclaré mardi 12 septembre sur Sud Radio, le chef des sénateurs LR, Bruno Retailleau, insistant sur le fait qu' »un travailleur clandestin n’a pas vocation à rester en France » et prédisant ; qu’en l’état, le projet de loi « sera une nouvelle pompe d’aspiration » pour l’immigration.
Face à cette droite qui montre ses muscles et fait pression sur le gouvernement, l’aile gauche de la majorité présidentielle a elle aussi voulu se faire entendre. Emmenés par le président de la commission des lois Sacha Houlié, dix parlementaires de la majorité ont publié avec des élus du groupe Liot et Nupes une tribune mardi dans Libération, appelant à la régularisation des travailleurs sans papiers.
« Nous devons sortir de l’hypocrisie. »
Le député Renaissance Sacha Houlié signe, avec des parlementaires de gauche, un appel à la régularisation des travailleurs étrangers dans les métiers en pénurie. « Ce que nous demandons tranquillement, nous devons le faire dans la loi », a-t-il déclaré.#le710inter pic.twitter.com/9AG8SgIyL2
– France Inter (@franceinter) 12 septembre 2023
Ces 35 députés et sénateurs signataires – dont le patron du Parti communiste et ancien candidat à l’élection présidentielle Fabien Roussel, le chef du groupe socialiste à l’Assemblée Boris Vallaud et l’ancien patron d’Europe Écologie-Les Verts Julien Bayou – réclament des régularisations « dans des secteurs en tension comme le bâtiment, l’hôtellerie-restauration, la propreté, la manutention, l’assistance à la personne ». « Sans eux, ces secteurs et des pans entiers de notre pays ne pourraient pas fonctionner », soulignent-ils.
Bien qu’il n’existe pas de chiffres officiels concernant les immigrés sans papiers, leur nombre est estimé, dans une large fourchette, entre 400 000 et 800 000, selon le Groupe d’information et de soutien aux immigrés (Gisti). Beaucoup d’entre eux occupent des emplois laissés vacants par des Français ou des étrangers en situation régulière. C’est ainsi qu’ils se retrouvent dans des métiers peu ou pas qualifiés dans des secteurs dits « en tension » car difficiles à recruter : le bâtiment, l’agriculture, le nettoyage, la sécurité, l’hôtellerie-restauration, les services à la personne notamment.
Lire aussi« Métiers en tension » : les pays européens prennent conscience du manque de main d’œuvre nationale
Le modèle de « l’immigration choisie » de Nicolas Sarkozy
« Ce sont des métiers non délocalisables qui sont occupés par de nombreux sans-papiers depuis des décennies », déplore Violaine Carrère, avocate au Gisti. « Le plus souvent, ces personnes travaillent sans contrat et sont payées au corps à corps pour un salaire inférieur au smic et, bien entendu, sans la moindre cotisation sociale », poursuit-elle. D’autres travaillent sous des pseudonymes en empruntant l’identité d’une personne en situation juridique. D’autres encore ont de faux papiers. Certains, là encore, disposent d’un titre de séjour d’un autre pays européen et travaillent en France alors qu’ils n’en ont pas le droit. »
L’article 3 du projet de loi s’inspire en effet de « l’immigration sélectionnée » chère à Nicolas Sarkozy. En 2007 déjà, Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur, avait voté une loi permettant aux employeurs de demander la régularisation de leurs salariés sans papiers s’ils travaillent depuis au moins un an dans un secteur et une région. tensions géographiques. Cette loi a été complétée en 2012 par la circulaire Valls dont le but était d’harmoniser les pratiques d’un département à l’autre. Actuellement, environ 30 000 régularisations par an sont ainsi réalisées.
Mais alors que l’obtention de ce type de titre de séjour se fait après une demande de l’employeur et est laissée à l’appréciation du préfet, l’article 3 du projet de loi de Gérald Darmanin place l’initiative de la demande entre les mains des sans-papiers.
Voir également« Je ne veux pas me cacher » : un ouvrier dénonce l’exploitation des sans-papiers dans le secteur de la construction
« C’est un progrès, mais tout cela reste une hypocrisie totale », regrette Violaine Carrère. Les immigrés sans papiers n’ont officiellement pas le droit de travailler, mais doivent prouver qu’ils ont bien travaillé pendant au moins huit mois pour être régularisés. Par ailleurs, le gouvernement reste dans une logique utilitariste : on veut régulariser les sans-papiers quand ils sont utiles, mais quand on n’en a plus besoin, on les renvoie chez eux. « Il ne s’agit pas d’hospitalité, mais d’utilisation de la main-d’œuvre. »
Car le titre de séjour ne sera valable qu’un an. Il devra donc être constamment renouvelé. Et le texte de loi ne précise pas pour l’instant ce qui se passera si le travailleur étranger change d’emploi et passe d’un secteur en tension à un environnement sans difficultés de recrutement. Ou même si son métier sort de la liste des personnes en tension.
« Il y a urgence à avancer », assure la députée du Maine-et-Loire Stella Dupont (liée à Renaissance), signataire de la tribune publiée dans Libération. « Le pays a besoin de ces travailleurs dans le bâtiment, la restauration, les soins, le maintien à domicile. Tout le monde ferme les yeux ou ferme les yeux parce que nous n’avons pas de solution. Mais la réalité est que ces gens font fonctionner notre pays et qu’ils sont aujourd’hui victimes d’une forme d’exploitation moderne car enfermés dans la précarité.»
« Bénéfique pour l’économie française »
Les travailleurs sans papiers ne bénéficient d’aucune aide – à l’exception de l’aide médicale de l’État – et dorment le plus souvent dans la rue ou dans des squats, selon Gisti. « Sans papiers, sans reconnaissance, ils connaissent les plus grandes difficultés pour trouver de la nourriture, un logement, des soins de santé et accéder à une vie sociale normale. La clandestinité les rend invisibles, les fragilise et les condamne à la précarité et à la désocialisation », écrivent les signataires de la plateforme.
« Les régulariser leur permettrait de s’intégrer pleinement et de mener une vie digne, mais ce serait aussi bénéfique pour l’économie française, ajoute Violaine Carrère. Car qui dit fiche de paie, dit cotisations sociales. Et avec un vrai salaire, on peut dépenser plus. Et qui dit consommation, dit TVA. »
Du côté des employeurs, hormis les restaurateurs qui soutiennent la régularisation des sans-papiers, la discrétion dans le débat s’impose. Pour Gisti, c’est le signe que la plupart d’entre eux sont très à l’aise avec un statu quo qui leur permet de faire pression sur les salaires ou les conditions de travail.
Voir également« Je rêve d’être régularisé » : 10 ans de travail en France et toujours sans papiers
« Les employeurs voyous existent. Mais il y en a aussi beaucoup qui préféreraient être dans les clous, nuance Stella Dupont. Quand je rencontre un restaurateur qui n’a pas de candidature et qui se retrouve face à un choix difficile et se voit obligé de sortir du boîte, il trouve ça dommage. »
Le gouvernement va-t-il aller dans ce sens en maintenant l’article 3 du projet de loi ou va-t-il céder aux pressions de la droite et de l’extrême droite ? « L’ensemble de la majorité est attachée à cette mesure », a assuré mardi matin le porte-parole du gouvernement Olivier Véran sur CNews et Europe 1.
« Ceux qui vous vendent un recours lié au droit de l’immigration vous mentent », a-t-il déclaré. « On parle de quelques milliers de personnes », a-t-il minimisé, citant en exemple l’Allemagne « et même le Danemark » dont la natalité est en baisse et qui « structure aujourd’hui l’arrivée des étrangers en disant ‘si vous venez dans notre pays, vous prenez un travail et vous participez à l’activité économique de notre pays' ».
Les débats s’annoncent déjà électriques. Selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, le texte devrait arriver le 6 novembre au Sénat en séance publique, puis début 2024 à l’Assemblée nationale.
France 24