Le moment de vérité pour Jason Kenney

L’ancien ministre du gouvernement Harper, devenu premier ministre de l’Alberta, est une figure incontournable chez nous et sur la scène nationale, un ténor du mouvement conservateur canadien. Mais depuis un an, Jason Kenney se bat pour sa survie politique.
C’est qu’en Alberta, l’opposition aux restrictions pandémiques est venue des bancs du gouvernement conservateur.
Une quinzaine de membres du caucus de Jason Kenney, majoritairement élus en milieu rural, ont ouvertement dénoncé le passeport vaccinal et le masque obligatoire ainsi que les différents changements de cap du gouvernement sur la pandémie.
Cette révolte interne a non seulement entraîné l’expulsion de deux membres des rangs conservateurs, mais elle a également provoqué le retour sur la scène de l’ancien chef du parti Wildrose Brian Jean, élu récemment lors d’une élection partielle en promettant ouvertement de renverser Jason Kenny.
Le reportage de Mathieu Gohier
Photo : Radio Canada
En entrevue, le nouveau député de Fort McMurray-Lac La Biche jure qu’il n’est pas revenu par ambition personnelle, mais pour sauver le Parti conservateur uni du désastre un an avant les prochaines élections.
» Quatorze, quinze mois de sondages indiquent que Jason Kenney ne peut obtenir plus de 30% de soutien. Les dirigeants qui ne peuvent pas atteindre 30 % ne sont pas compétitifs aux prochaines élections générales. »
Si les mesures anti-COVID ont provoqué l’ire de nombreux conservateurs, c’est aussi le style de leadership du leader qui en déplaît plus d’un. Brian Jean n’a toujours pas digéré de voir Jason Kenney assis avec une poignée de ministres l’an dernier, alors que les Albertains devaient encore suivre les règles sanitaires.
C’est un échec de son leadership, c’est une succession de mauvaises décisions depuis longtemps, c’est ignorer ceux qu’il aurait fallu écouter
énumère Brian Jean lorsqu’on lui demande ce qu’il reproche au premier ministre.
Spécialiste de la droite au Canada, le professeur de sciences politiques et vice-doyen du Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta Frédéric Boily confirme qu’au-delà de la pandémie, c’est carrément le style de Jason Kenney qui ne passe pas avec les conservateurs base.
Il y avait une sorte de jonction [des critiques] un moment donné entre le style de leadership et les mesures sanitaires prises par le gouvernement
il explique.
Peut-être pas la fin des divisions
En acceptant de se soumettre à ce vote de confiance plus tôt que prévu, Jason Kenney espère mettre un terme définitif aux luttes intestines au sein de ses troupes.
Mais en fixant la barre à 50 % + 1 soutien pour rester à la tête du parti, le premier ministre albertain pourrait encore être empêtré dans des luttes intestines malgré une victoire.
Avec un résultat compris entre 50 et 55%, voire jusqu’à 60%, il ne fera pas taire les grognements
souligne Frédéric Boily qui rappelle que l’ancien Premier ministre Ralph Klein avait présenté sa démission après n’avoir recueilli que 55% de voix lors d’un vote de confiance en 2006.
Les premiers ministres Ed Stelmach et Alison Redford ont également démissionné après avoir chacun obtenu le soutien de 77 % des membres du défunt Parti progressiste-conservateur de l’Alberta.
Le vote, qui devait se faire en personne à Red Deer en avril, s’est finalement déroulé par correspondance, et la période de vote a été prolongée d’un mois par les hautes instances du PCU.
Pour brouiller davantage les cartes, les opposants à Jason Kenney l’accusent d’avoir contourné les règles de vente des cartes de membre du parti avant le vote.
Dans ce contexte, la légitimité des résultats de mercredi soir pourrait même être remise en cause.
Tout dépendra des chiffres que nous verrons
dit Brian Jean qui refuse de s’avancer sur la validité du scrutin.
Avec ce vote de confiance des membres, c’est l’unité même de la droite albertaine qui est en jeu. croit la stratège conservatrice de Calgary Sarah Biggs.
» Si M. Kenney ne part pas [le parti]il y a de fortes chances que nous voyions à nouveau un nouveau parti se créer. »
Brian Jean, lui, assure ne pas vouloir revenir dans les vieilles lignes de fracture de la droite albertaine.
Je veux unifier le PCU, et je crois que la meilleure façon d’y parvenir est avec le départ de Jason Kenney.
Même affaibli, Jason Kenney reste un redoutable organisateur politique dont les principaux conseillers ont travaillé à plein temps ces dernières semaines pour préparer le vote de confiance. Le premier ministre a également encore de nombreux partisans au sein de son caucus.
Les demandes d’entrevue de Radio-Canada au bureau de Jason Kenney pour ce reportage sont restées sans réponse.
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