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Nouvelles locales

Julia Cagé. Pour qui votons-nous et pourquoi ?

À vous lire, les enjeux socio-économiques seraient déterminants pour comprendre le vote des Français. Et ce, à l’opposé des enjeux sécuritaires ou migratoires soulevés par la droite ou des enjeux sociétaux promus par la gauche. Comment arrivez-vous à ce constat ?

Je tiens d’emblée à souligner que ce n’est pas notre point de départ, mais plutôt le résultat de nos recherches. Nous avons construit une base de données unique, constituée des résultats électoraux des 36 000 communes françaises depuis la Révolution (1). Et il apparaît en effet que la classe sociale – qui comprend les revenus, le patrimoine, les diplômes, la catégorie socioprofessionnelle ou encore le fait d’être propriétaire – joue un rôle central.

Au contraire, l’immigration apparaît – à la lumière de ces données électorales – comme très secondaire. Entre un territoire accueillant une forte proportion d’immigrés (jusqu’à 25 % de la population) et un autre qui n’en accueille quasiment aucun, l’impact sur le résultat électoral est minime. C’est en fait plutôt une bonne nouvelle car le conflit de classes (entre classes sociales, NDLR) peuvent, contrairement à d’autres conflits, être surmontés.

Que veux-tu dire ?

Il est possible, dans le cadre d’un débat démocratique, de s’entendre sur un niveau de redistribution des richesses. Nous pouvons trouver un juste équilibre en matière de conditions de travail ou d’accès à l’éducation et à la santé. A l’inverse, les conflits identitaires fondés sur les origines géographiques, ethniques ou religieuses n’admettent souvent d’autres solutions que… l’exacerbation du conflit lui-même ! Cela conduit à des impasses politiques.

Vous décrivez une France divisée en trois entre un bloc de gauche socio-écologique, un bloc central libéral-progressiste et un bloc de droite national-patriotique. Comment caractériseriez-vous chacun de ces électorats ?

Le bloc libéral-progressiste, qui correspond au vote Macron, est très fortement corrélé aux revenus : plus il y a de classes aisées au sein d’une commune, plus le vote en faveur d’Emmanuel Macron est fort. C’est même l’un des votes les plus bourgeois de l’histoire. Ce qui la distingue, par ailleurs, de la droite classique qui a su, dans le passé, attirer les plus hauts revenus mais aussi les classes rurales inférieures. La base électorale du macronisme semble beaucoup plus étroite.

A l’inverse, les deux autres blocs attirent un électorat modeste : le bloc social-écologiste séduit les communautés urbaines pauvres (banlieues notamment), tandis que le bloc national-patriotique rassemble de nombreuses voix dans les communautés rurales modestes. .

Les électeurs FN-RN sont, statistiquement, peu instruits, mais souvent propriétaires. On les retrouve notamment chez les artisans et les indépendants. Contrairement à il y a trente ans, ce vote n’est plus corrélé à la présence d’immigrés dans la commune. Par ailleurs, le RN continue évidemment de parler d’immigration mais il axe désormais aussi son discours sur la défense des territoires périphériques ou la dénonciation de l’intégration économique européenne et internationale.

Et à qui s’adresse le bloc social-écologiste ?

Plutôt des individus urbains, des employés de services (restauration, commerce, nettoyage, etc.) plus que des ouvriers (devenus plus ruraux ces dernières décennies), souvent locataires. Le bloc socio-écologique attire également les individus aux revenus les plus faibles parmi les diplômés de l’enseignement supérieur. On les retrouve notamment dans les secteurs de la santé ou de l’éducation.

Impossible, selon vous, de comprendre qui vote quoi sans tenir compte de l’appartenance territoriale. Pourquoi est-ce si important?

En effet. Nous préférons également parler de « classe géosociale » plutôt que de « classe sociale » dans la mesure où, justement, cela permet de prendre en compte les inégalités territoriales en matière d’accès aux services publics (écoles, hôpitaux, équipements sportifs et culturels, infrastructures publiques, etc.).

Depuis la fin des années 1990, la production de richesse en Île-de-France a atteint des niveaux jamais observés dans le passé. Il en résulte des fractures spatiales importantes avec, pour conséquence, une véritable fracture au sein des classes populaires selon qu’elles vivent en milieu rural ou en milieu urbain. Les premiers ont tendance à voter pour le RN et les seconds pour la gauche… ce qui permet à un bloc central de se maintenir au pouvoir avec 30 % des voix.

Même si ces classes populaires s’étaient unies au XXe sièclee siècle, c’est vrai ?

Oui, ce qui les rapprochait était plus important que ce qui les séparait. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, en raison notamment de l’incapacité de la gauche à proposer aux ruraux un véritable programme en termes de réindustrialisation du pays, d’accès aux services publics ou d’accès à la propriété. .

Plus grave encore, les classes populaires rurales se sentent souvent montrées du doigt par la gauche parce qu’elles vivent dans des maisons ou prennent leur voiture pour aller travailler. Comme si la gauche avait une alternative à proposer…

Forts de ces constats, vous faites également des propositions pour financer une politique de réduction des inégalités…

Pour développer un État social digne de ce nom, il faut assumer un véritable impôt sur la fortune, avec un nouvel ISF qui frapperait enfin les milliardaires et rapporterait des sommes substantielles. Face à l’épidémie de Covid, les États ont adopté une politique de « quoi qu’il en coûte » qu’ils financent, aujourd’hui, via l’inflation (ce qui permet de réduire la dette, NDLR). Cela semble indolore puisqu’aucune hausse d’impôts n’est annoncée mais, en réalité, cela gruge le pouvoir d’achat des plus modestes.

Nous pourrions répartir plus équitablement les efforts en contribuant davantage aux plus gros atouts français qui, rappelons-le, n’ont jamais aussi bien porté. Ils ont largement bénéficié de l’injection massive de liquidités par les banques centrales et, grâce à diverses niches fiscales, ils paient moins de 5 % de leurs revenus en impôt sur le revenu. De telles injustices risquent, à terme, de remettre en cause l’acceptabilité sociale de la taxe… notamment dans les zones où il n’y a plus de bureaux de poste, d’écoles ou d’hôpitaux.

Mais taxer davantage ne signifie-t-il pas automatiquement une perte de compétitivité ?

Dans une logique libérale, les contraintes de la mondialisation interdisent toute augmentation des impôts au motif que le pays perdrait sa compétitivité. Résultat, on intègre le jeu du moins-disant fiscal… Mais c’est intenable financièrement et socialement. Nous plaidons, dans l’ouvrage, pour la création d’un petit noyau d’États européens qui prendraient la responsabilité de taxer davantage et de mettre en place une forme de protection environnementale et sociale aux frontières. Afin de redonner de la compétitivité à notre production industrielle.

Vous partez du constat qu’en France, au XXee siècle, l’alternance gauche-droite s’est accompagnée d’une baisse des inégalités. Comment l’expliquez-vous ?

L’alternance politique va de pair avec le progrès social car elle alimente une concurrence fructueuse. L’alternance est un booster du pouvoir en place. Prenons l’année 1919 en France : nous avons la salle la plus à droite de toute l’histoire – la célèbre « chambre bleu horizon » – et c’est cette assemblée qui adoptera les augmentations d’impôts les plus importantes que le pays ait jamais connues. Pour quoi ? Car les parlementaires, qui ont fait face à la « menace » socialiste – voire communiste avec la révolution russe de 1917 – ont jugé plus prudent de redistribuer. Idem en 1981 avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand : on le sait aujourd’hui, il n’a en rien affaibli l’économie de marché. Et c’est à cause de l’alternance ! C’est vraiment ce qui permet de trouver un juste équilibre entre les forces en jeu.

Pourquoi la tripartition telle que nous la connaissons aujourd’hui empêcherait-elle cet exercice d’équilibre ?

La tripartite complique les alternances. Regardez la situation actuelle : le parti au pouvoir – qui représente électoralement les classes favorisées – disqualifie les deux oppositions en les accusant d’extrémisme ou de « non-républicanisme » et se présente comme la rationalité au pouvoir. C’est ainsi qu’il fait avancer la réforme des retraites, même si les trois quarts du pays y sont opposés. On voit bien que l’alternance est plus compliquée lorsque les oppositions ont été délégitimées. C’est aussi un jeu dangereux qui explique en partie l’effondrement de la participation.

Force est de constater, sur ce point, à quel point l’abstentionnisme est un phénomène récent… et répandu !

En effet, jamais depuis 1789 il n’a été aussi élevé. Il est intéressant d’avoir cette perspective historique ; cela invalide notamment l’idée selon laquelle il faudrait repenser les modalités du vote afin de le faciliter, en l’organisant en ligne par exemple. En 1849, le vote se déroulait au niveau cantonal et nécessitait de parcourir – parfois à pied – entre 30 et 40 km, et les Français se déplaçaient…

Vous prédisez la fin de la tripartite actuelle et le retour d’une alternance entre bloc de gauche et bloc centriste-libéral. Qu’est-ce qui vous amène à exclure un scénario à la hongroise, opposant le bloc centriste au bloc national-patriotique alors même que le RN obtient des scores très élevés ?

Deux raisons. Le fait, d’abord, que le bloc de gauche dispose d’une base populaire bien plus solide et cohérente qu’on l’entend parfois. A l’inverse, le bloc national-patriote est traversé de réelles divergences : le RN aura du mal à élargir sa base électorale avec la droite d’Éric Ciotti ou celle d’Éric Zemmour, dont les électorats sont plus bourgeois et plus libéraux économiquement. Leurs plateformes programmatiques s’affrontent trop.

Ensuite, le RN n’est pas crédible sur le plan financier : il se pare d’un programme social mais ne prévoit rien pour le financer puisqu’il refuse de taxer davantage. Marine Le Pen présente à chaque fois sa recette dite « miracle » : réserver les prestations sociales aux seuls Français, mais cela ne rapportera pas de moyens aussi considérables qu’annoncés.

New Grb1

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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