« J’aimerais être plus utile aux autres »

La Croix l’Hebdo : Qu’est-ce qui te fait te lever le matin ?
Marc Lesage-Moretti : Passion. C’est toujours elle qui m’a stimulé, bien plus que des motivations financières. Pendant sept ans, j’ai été trader chez Goldman Sachs. Je gagnais très bien ma vie, c’est vrai, avec un salaire de plus de 300 000 € par an. Mais j’ai fini par manquer de stimulation intellectuelle et la routine s’est installée.
Dans ce métier, les gens ont l’impression d’être dépassés par le travail, de courir partout et tout le temps, d’être un peu à l’écart dans la société. A un moment donné, j’ai compris qu’on était surtout un peu déconnectés. J’en ai eu marre et il y a plus d’un an, j’ai changé de carrière. J’étais intéressé par le économie des créateurs (le marché de la création de contenus sur Internet, ndlr)notamment parce que des amis de la Silicon Valley m’avaient dit que ça allait être un marché d’avenir, alors j’y suis allé.
C’était peut-être absurde, mais j’ai toujours été comme ça. Quand j’étais enfant, j’ai failli développer une surdité sévère, avec près de 80 % de mon audition perdue. Comme j’entendais très peu, je me suis vraiment replié dans ma tête, dans mon imaginaire. Je suis convaincue que c’est ce qui a façonné mon côté rêveur. Alors maintenant, j’ai envie d’en profiter pleinement, de me permettre de poursuivre mes rêves. Voilà une raison suffisante pour se réveiller motivé !
Comment ça se passe au travail ?
ML-M. : Ma nouvelle activité me permet de réaliser plusieurs projets en même temps, c’est très passionnant. Par exemple, je me suis fixé comme objectif d’atteindre le rang de Maître sur les jeux vidéo League of Legends, c’est-à-dire faire partie des 0,5% de meilleurs joueurs mondiaux. J’anime également un talk-show sur la finance sur Twitch, dans le but de partager mes connaissances du secteur avec un jeune public. C’est vraiment sympa de pouvoir transmettre des connaissances !
Et je suis même en discussion avec des équipes d’e-sport (compétitions de jeux vidéo, Note de l’éditeur), peut-être pour un poste de manager ou d’analyste. Un profil comme le mien d’ancien commerçant n’est pas courant dans l’écosystème.
À qui faites-vous confiance ?
ML-M. : Il y a des amis, mon frère, de la famille… Mais tout de suite, je pense surtout à ma copine. Quand j’ai des doutes, elle me soutient, elle m’écoute. Et réciproquement. Elle a également une activité très intense, car elle travaille au ministère des Affaires étrangères. On a vraiment besoin les uns des autres pour lâcher prise, faire tomber la pression. Ce n’est pas toujours facile, car il faut trouver le bon équilibre pour ne pas étouffer. Malgré tout, j’ai l’impression que ça marche.
Une scène qui vous a marqué récemment ?
ML-M. : Je viens de terminer un marathon de streaming caritatif. Pendant trois jours, plusieurs d’entre nous, créateurs de contenus, ont récolté des dons pour l’association Make-A-Wish. L’événement se termine, 130 000 € ont été récoltés, chacun range son matériel. Et là, j’ai l’impression d’être dans le vide. Je me rends compte que je regrette déjà ces 72 dernières heures, tout en réalisant que je n’en ai pas pleinement profité. Comme si, malgré mon envie de savourer l’instant présent, je n’y parvenais pas.
Qu’est-ce qui changerait votre vie ?
ML-M. : J’ai la chance d’avoir ce dont j’ai besoin. Par contre, il y a quelque chose que j’aimerais changer dans ma vie : être plus utile aux autres. J’ai toujours été très centré sur moi-même, dans une mentalité très compétitive : obtenir la meilleure préparation, les meilleurs jobs, être le meilleur trader… Aujourd’hui, cet état d’esprit me dérange. J’aimerais avoir plus de temps pour les autres, sortir un peu de ma bulle.
Quand j’étais jeune, j’étais brancardier dans une association. Nous avons accompagné des personnes gravement malades à Lourdes, pour leur permettre de méditer. Voir l’importance que cela avait pour eux était extrêmement touchant. Mais je suis bien conscient que servir les autres nous est aussi utile. Ce n’est pas forcément du temps perdu.
Et pour demain, avez-vous une idée en tête pour changer le monde ?
ML-M. : Laissez les gens être plus honnêtes et transparents. J’ai toujours procédé ainsi et je pense que le monde gagnerait en efficacité et en authenticité en faisant de même. Aujourd’hui, toute la société, et notamment le monde des affaires, utilise le langage du bois.
Je l’ai clairement vu lorsque j’étais chez Goldman Sachs. Je ne me suis pas privé de franchise, j’ai parlé cash avec mes clients. Certains de mes collègues ont adoré, parce que c’était animé. D’autres détestaient ça. Par gêne ou par hypocrisie, je ne sais pas, mais en tout cas, c’était frustrant, les relations humaines n’étaient pas facilitées.
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Lorsqu’il évoque son parcours, Marc Lesage-Moretti aime cultiver une image de rêveur. Un romantique perdu dans le monde de la finance. Mais derrière son profil romantique, le joueur de 31 ans le reconnaît : il a beaucoup de chance. Ses parents sont banquiers, sa mère parfois même chanteuse. Il a grandi à Neuilly-sur-Seine, a reçu une éducation jésuite et s’est formé dans une école de commerce parisienne.
Pendant sept ans, il gravit les échelons en tant que trader chez Goldman Sachs et gagnais extrêmement confortablement sa vie, puis je me suis ennuyé. Il a pris la décision de tourner le dos à son travail dans la banque pour devenir créateur de contenu Internet. Depuis février 2022, sa nouvelle vie est diffusée en streaming sur Twitch, sous le pseudo Jokariz, ou encore anime des talk-shows sur la finance. Il le sait, son profil est atypique.
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