Industrie forestière : la lutte continue contre la tordeuse des bourgeons de l’épinette

Alors qu’une diminution des superficies forestières défoliées par cet insecte ravageur a été observée au Québec en 2022, la tendance suit la courbe inverse en Abitibi-Témiscamingue.
À l’échelle de la province, les superficies touchées sont passées de 12 229 847 hectares en 2021 à 9 159 154 hectares en 2022, soit une diminution de 25 %.
En Abitibi-Témiscamingue, on observe plutôt une augmentation de 13 %, les superficies défoliées passant de 2 201 259 hectares en 2021 à 2 478 416 hectares cette année.
Le responsable de l’unité de gestion de Rouyn-Noranda et du lac Abitibi au ministère des Ressources naturelles et des Forêts, Nicolas Pouliot, explique que la tordeuse des bourgeons est présente dans la région depuis 2007, mais que ses effectifs ont explosé au cours des dernières années. années.
Il précise que les territoires les plus touchés sont désormais situés plus au nord.
» C’est le Témiscamingue, le sud de l’unité de gestion de Rouyn, qui a été très touché, et actuellement il est passé à l’est de Val-d’Or et remonte jusqu’à Lebel-sur-Quévillon. Il y a un gros, gros secteur qui a été sérieusement touché cet été et qui est à l’est de Val-d’Or. »
« Briser le cycle » de la tordeuse
Lors d’une activité organisée par la Table de gestion intégrée des ressources et du territoire (GIRT) de Rouyn-Noranda, une trentaine d’experts, de citoyens et d’étudiants ont pu se rendre en forêt en septembre dernier pour approfondir leurs connaissances sur divers enjeux touchant l’industrie forestière.
Parmi eux, les ravages causés par la TBE et les efforts entrepris par le Ministère et l’industrie forestière pour limiter les dégâts.
Ingénieur forestier au ministère des Ressources naturelles et des Forêts, Luc Michaud rappelle que des relevés aériens sont réalisés annuellement pour déterminer la sévérité de l’épidémie sur le territoire.
Un score de défoliation au niveau du peuplement est ensuite attribué. Cette note est cumulée d’année en année. Il peut être de 0 pour non affecté, 1 pour faible, 2 pour modéré ou 3 pour sévère. On considère qu’à partir d’une cote de 3 années sévères, donc une cote de 9, il est urgent d’agir au niveau de la récolte car les arbres qui sont touchés risquent de mourir.
il mentionne.
M. Michaud indique que les dégâts causés par l’insecte sont principalement observables sur le feuillage de l’arbre.
Dans le cas qui nous intéresse, c’est surtout le sapin qui est l’espèce la plus vulnérable, suivi également de l’épinette blanche. Chaque année qu’il y a défoliation, de sorte que l’arbre est mangé par la tordeuse des bourgeons de l’épinette, il y a de moins en moins d’aiguilles vertes, et donc de feuillage dans l’arbre. Une cote de 3, où il y aura eu une année de défoliation sévère, l’arbre montrera encore des aiguilles vertes, alors que lorsqu’on atteint la troisième ou quatrième année d’épidémie sévère, là, il n’y a plus de feuillage
il observe.
Pour réussir à ralentir sa progression et briser le cycle
de la tordeuse des bourgeons, le Ministère s’assure que les espèces d’arbres plantées après coupe ne figurent pas parmi les aliments de prédilection de l’insecte ravageur.
On joue principalement sur la vulnérabilité des peuplements forestiers. Un peuplement composé majoritairement de sapins et d’épinettes blanches, les espèces favorites de la tordeuse, est susceptible de traverser à chaque épidémie. L’objectif est donc de récupérer ces volumes pour reboiser avec des essences moins vulnérables à la tordeuse, comme le pin gris ou l’épinette noire. Ces peuplements, lorsque l’épidémie cyclique reviendra, 20 à 30 ans plus tard, ils seront moins à risque d’être dérangés de façon majeure.
il explique.
Adapter les récoltes pour limiter les pertes
Afin de limiter les pertes économiques liées aux ravages causés par la TBE, le ministère des Ressources naturelles et des Forêts a mis en place, en 2015, un premier plan particulier d’aménagement pour limiter la perte de matières ligneuses.
Au début, nos plans étaient strictement de récupérer. On a donc attendu que les peuplements soient suffisamment touchés, que l’espèce soit sur le point de mourir, pour intervenir. Sauf qu’on a trouvé qu’on perdait la bataille, parce qu’on perdait beaucoup d’arbres, et quand l’essence est trop touchée, elle n’est pas récupérable, pas usinable et difficile à transformer.
explique Nicolas Pouliot.
M. Pouliot précise que les plans particuliers d’aménagement, avec lesquels les compagnies forestières doivent travailler, ont deux caractéristiques principales.
D’une part, il s’agit de forcer la récolte dans certains peuplements. Nous invitons donc toutes les entreprises forestières à se rendre dans des régions précises. L’autre objectif est d’apporter une aide financière car souvent, lorsque l’arbre est mort, il n’est pas assez haut. En mettant en place un plan préventif, on pense que c’est plus apprécié des industriels, ça leur donne une fibre qui va mourir dans deux ou trois ans, qu’on récolte aujourd’hui, qui peut être usinée, qui peut être transformée et qui est vendable
il dit.
Des aides insuffisantes, selon les entrepreneurs forestiers
Bien que les peuplements touchés par la TBE soient maintenant exploités de manière préventive et qu’une aide financière soit accordée aux entreprises forestières, certains acteurs de l’industrie estiment que la compensation offerte rend difficile l’atteinte du seuil de rentabilité.
C’est le cas de Daniel Bourgault, directeur général des opérations forestières chez Greenfirst Forest Products au Témiscamingue.
L’aide que nous recevons du gouvernement est pratiquement nulle. L’aide est calculée sur les surfaces d’une carte et est accordée sur les volumes récoltés. Mais l’arbre qui est trop dégradé, il ne part pas à 100% vers les usines. Donc, donner des aides au mètre cube sur des volumes qui n’arrivent pas à l’usine, ça revient à dire qu’il y a peu d’aides
il exprime.
Selon M. Bourgault, les arbres récoltés dans le cadre des plans d’abattage préventif sont souvent trop petits et affectent ainsi la rentabilité des opérations.
Lorsque ces bois sont amenés à l’usine, les pressions des équipements doivent être réduites et les vitesses réduites. Nous réduisons donc les performances
il observe.
En plus des arbres immatures, Daniel Bourgault soutient que plusieurs coupes faites dans les secteurs touchés par la TBE se font trop tard.
Il y a au moins 40 % du volume des tiges qui n’arrivent même pas au bord de la route parce qu’elles se brisent en petits morceaux. On peut tolérer une certaine dégradation du niveau de la fibre dans nos scieries, mais là, on est allé droit
il se lamente.
M. Bourgault croit que la composante humaine et les difficultés financières des entrepreneurs forestiers ne sont pas suffisamment mises en valeur.
» C’est extrêmement difficile [d’être rentable]. Il faut indemniser financièrement les entrepreneurs qui réalisent les opérations de récolte pour s’assurer qu’ils font un minimum de profit pour les garder efficaces et vivants. »
Pour M. Bourgault, une façon de rendre plus attrayante la récolte dans les secteurs touchés par la TBE serait d’y ajuster les droits de coupe.
Ce qu’il faut savoir, que ce soit du bois brûlé ou du bois épidémique de la tordeuse, les droits de coupe sont les mêmes. Nous payons toujours de grosses redevances. Nous avons peu ou pas d’aide pour les opérations de récolte, et en même temps, en effectuant les opérations de récolte que nous faisons là-bas, nous construisons de nouvelles routes, nous enlevons les arbres mourants et nous préparons les sites pour qu’ils soient capables de se reproduire. [Une baisse des droits de coupe]ce serait une façon de nous donner de l’oxygène pour traverser ces opérations forestières
il argumente.
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