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Nouvelles locales

Étudiants salariés : la vie minimale de Jordan, Wiam, Célestine et Paul


Avec ses hautes fenêtres à arcades, la galerie menant à la bibliothèque universitaire donne à l’UFR du langage, des sciences humaines et sociales un air de cloître. Paul, 24 ans, sweat lilas, lunettes dorées, yeux clairs et cerné de fatigue, y étudie l’anglais depuis l’année dernière. Il met un point d’honneur à ne manquer aucun cours, à passer ses soirées libres à réviser.

Pour cela, il doit allonger les journées : Paul est caissier chez Carrefour, il y travaille 16 heures par semaine, y compris le dimanche matin. C’est plus que les cours – une dizaine d’heures par semaine, mais sans compter le travail à la bibliothèque -, souvent de 16h jusqu’à la fermeture à 19h45 « J’essaie de faire le maximum. Cela demande une certaine organisation. La fatigue, ça dépend de mon sommeil, je suis un peu insomniaque, il a souri. J’aimerais être étudiant à temps plein, mais une bourse pour mon niveau est de 150 euros par mois, et de toute façon mon dossier n’a jamais abouti. Avec 150 euros par mois, vous ne vivez pas. Je vis toujours avec ma mère. Elle est également caissière. Je l’aide financièrement : je lui donne 200 euros par mois pour le loyer. » A la caisse, plaisante-t-il, il se retrouve dans une position privilégiée pour scruter la flambée des prix : « Les clients vous le font ressentir. »

Dans ce contexte économique difficile, il n’a pas pris un jour de repos cet été : « Je voulais travailler, mettre de l’argent de côté, je me suis porté volontaire pour des heures supplémentaires. J’ai travaillé 30 heures par semaine pour 1 200 euros, c’est raisonnablement payé. Maintenant j’ai quelques économies : en cas d’extrême urgence, je peux taper dessus. »

Il y a bien le dos lâche, les pieds endoloris, les horaires décalés, les tâches répétitives, mais il ne manque plus les cours, bénéficie d’une mutuelle, s’estime « traité correctement ». Mieux, en tout cas, que dans son précédent petit boulot. Paul était auparavant chauffeur-livreur de scooters électriques chez Domino’s Pizza. Dangereux les soirs de pluie, douloureux par temps froid. Avec son superviseur, il y avait des tensions.

Avec 150 euros par mois, vous ne vivez pas. Je vis toujours avec ma mère. Elle est également caissière. »

Paul

Surtout, l’horaire ne correspondait pas à la disponibilité et à la rémunération. « Alors que je devais commencer à 18 heures, je n’ai pas pointé à mon arrivée. Si la première commande est arrivée une heure plus tard, je n’ai été payé qu’à 19 heures. Nous vous avons fait attendre sans vous payer. il dit. C’est là, sur les conseils d’un ami, qu’il a contacté la CGT, avant de rejoindre le syndicat formé dans le Doubs par des étudiants salariés il y a quelques années. « J’y ai trouvé l’aide dont j’avais besoin et les réponses à mes questions », dit-il.

Précarité, refoulement, essoufflement

L’organisation compte aujourd’hui une quarantaine d’adhérents, dispose d’élus dans les instances universitaires, travaille en lien avec les syndicats actifs sur le lieu de travail, lutte pour la gratuité des transports en commun ou la protection périodique, lutte pour faire respecter les dispositions prévues pour les étudiants salariés, comme l’exemption de surveillance.

« Quand on est venu frapper à la porte de la CGT, on a trouvé des oreilles attentives », sourit Wiam Bama, 25 ans, étudiant en master de sociologie, qui dirige désormais cette structure. « Nous essayons de nous adresser à ceux que le syndicalisme n’atteint pas habituellement, elle explique. Les syndicats étudiants se sont un peu effondrés ces dernières années, en partie parce qu’ils ont caché cette question du travail étudiant. Et puis, les militants potentiels sont précaires, la répression violente des mouvements sociaux depuis la loi travail a aussi contribué à cet essoufflement. »

Dans les locaux du syndicat départemental CGT installé dans un bâtiment ocre joliment rénové de la vieille ville, cette jeune femme aux cheveux châtains, yeux noirs, maquillage discret, se tient droite, ses propos sûrs, ses convictions solidement ancrées. « J’ai toujours travaillé, depuis la terminale, pendant les vacances scolaires, puis en continu lorsque je suis devenu étudiant. Je n’avais pas de choix. Mon père est chauffeur de bus, ma mère femme de ménage », elle se confie.

Wiam enchaîne les petits boulots : ménage, accompagnement des étudiants en situation de handicap au service de santé de l’université, surveillance au musée Courbet à Ornans. Complètement autonome, elle travaille désormais comme assistante d’élus de gauche à la commune de Besançon. Son engagement syndical s’est forgé dans le mouvement contre la loi travail : « On sentait que le gouvernement s’attaquait à quelque chose de sacré : le Code du travail, qui nous permet de défendre nos droits en tant que salariés », elle se souviens.

Icône CitationLe temps passé au travail fait chuter les résultats. Tu te sens inutile, tu as honte, tu finis par lâcher prise. C’est un engrenage. » WIAM

Se battre pour établir un revenu étudiant

Aux premières loges de la flexibilisation du marché du travail, les étudiants salariés – un étudiant sur deux en France – forment un précariat vulnérable, malléable, mal défendu, exposé à toutes les dérives patronales. « La plupart des étudiants ne connaissent rien de leurs droits, certains ne savent même pas que l’établissement d’un contrat de travail est une obligation légale, témoigne Wiam. Cela fait des étudiants des employés très fragiles. Pendant leurs études et même après, car ils intériorisent les pratiques illégales. Il produit des employés très dociles. »

Du côté universitaire, le cumul entre études et travail est trop souvent, assure-t-elle, un facteur d’échec, de découragement, d’abandon : « Le temps passé au travail fait baisser les résultats. Tu te sens inutile, tu as honte, tu finis par lâcher prise. C’est une spirale : on s’engage dans le travail salarié pour sortir de l’angoisse des factures encaissées, on finit la semaine à genoux et les plus pauvres abandonnent, parfois dès la première année. Et leur départ ouvre la voie à une gentrification de l’université. »

Dans l’imaginaire collectif, l’emploi étudiant a longtemps été associé à des jobs d’été pour se payer des vacances et se faire de l’argent de poche. Une vision que la pandémie de Covid et les confinements successifs ont brisé lorsque la France a découvert tardivement l’ampleur du désastre social représenté, pour des centaines de milliers d’étudiants, par la perte d’un emploi. , un salaire de survivant.
A Besançon, avec le soutien du syndicat départemental, le syndicat des étudiants salariés CGT a organisé très tôt une collecte syndicale pour financer la distribution de produits de première nécessité, de denrées alimentaires et de packs d’hygiène, pour « pour attirer l’attention sur la condition extrêmement précaire et isolée des étudiants, pour avertir de l’indifférence politique à leur sort ». Après le déconfinement, la revendication d’une gratuité totale des transports a été combattue par les élus de droite de l’agglomération. La bataille, cependant, a assuré la moitié du prix.

Interrogée, la région Franche-Comté a fini, de son côté, par verser une aide ponctuelle aux étudiants salariés ayant perdu leur emploi. Insuffisant, jugent les jeunes syndicalistes, qui fixent l’horizon d’une « revenu étudiant sur la base de 1 000 euros par mois pour le logement, la nourriture, les études ». « Ce n’est pas une demande de surface puisqu’elle existe déjà pour les élèves de l’École Normale Supérieure », affirme Wiam.

Jordan, 30 ans, aujourd’hui professeur stagiaire de lettres, d’histoire et de géographie dans un lycée professionnel, a passé le CAPLP l’an dernier après deux tentatives infructueuses au Capes. Un tel revenu étudiant aurait changé sa vie. « J’ai réussi le concours d’infirmière à 19 ans. A 22 ans, je suis retourné à l’école car j’étais passionné d’histoire. J’ai travaillé à proximité comme infirmière, il dit. Pendant les trois années de préparation au concours, j’ai été assistante d’éducation dans un internat le soir en semaine, payée trois heures alors que j’étais mobilisée huit heures, et j’ai travaillé occasionnellement dans une maison de retraite. L’année dernière, j’y ai travaillé tout l’été avant la compétition. »

Une vie austère nécessitant une organisation au millimètre, sans issue, où les moments de décompression sont rares. « Une vie au strict minimum », il observe. Il lui était donc impossible de compter sur le soutien financier familial : son père, facteur, est décédé ; sa mère, aide-soignante, est handicapée après une chute au travail en faisant du ménage.

Icône CitationQUAND JE SUIS EN CLASSE, JE PENSE AU TRAVAIL ET À L’UNIVERSITÉ, JE NE SUIS JAMAIS PLEINEMENT CONCENTRÉ. » CÉLESTIN

Isolé socialement et politiquement

Célestine, 22 ans, étudiante en troisième année de sociologie, reçoit, avec une certaine gêne, une modeste aide de ses parents. « Je ne veux pas être un fardeau pour eux. A la retraite, ils n’ont pas de grands moyens, elle s’excuse. Si je n’avais pas d’activité salariée, je ne pourrais pas faire face de toute façon, surtout en ce moment où tout s’amplifie. » Avec un loyer de 458 euros une fois les APL supprimées, son budget est serré. Chaque semaine, elle cumule 18h30 de travail comme assistante dans un lycée professionnel et 22 heures de cours. « Quand je suis en classe, je pense au travail ; à l’université, je ne suis jamais complètement concentré, « elle soupire.

Cet étudiant a également adhéré à la CGT, tout comme Jordan. Ils y ont trouvé « à l’écoute des préoccupations quotidiennes », la possibilité d’aider d’autres personnes à leur tour à « pour défendre leurs droits, tout en ayant une voix qui puisse compter ».

Adjoint (PCF) au maire de Besançon chargé des quartiers populaires, Hasni Alem avoue avoir été bousculé, pendant le confinement, par le sort de cette population nombreuse mais isolée socialement et politiquement, « invisible, qui passe sous le radar de la municipalité ».

Lui-même, jusqu’à l’année dernière, passait d’un job étudiant à un autre – femme de ménage, caissier, mécanicien – avant de devenir enseignant l’année dernière. « La solution la plus simple serait de considérer qu’étudier est un travail qui mérite du temps et de l’énergie, sans vivre dans l’angoisse constante du lendemain, il décide. Cela implique des revenus. Il est possible de le financer en taxant les riches. Tout ce qui peut permettre aux enfants des classes populaires d’étudier sereinement est bon à prendre. »

Sous les arcades de la Faculté des Lettres, rue Megevand, dans le centre ancien, Wiam est pris à partie par un petit brun à la démarche rigide et au ton goguenard : « Alors, la CGT ? » Un militant de la Cocarde étudiante, un groupe d’extrême droite très actif à Besançon, qui a fait campagne lors de l’élection présidentielle pour Éric Zemmour. La jeune femme ne se démonte pas, le fait taire d’un mot et d’un regard. « Défendre les droits des étudiants, souligne-t-elle, c’est aussi une manière de ne pas les abandonner à ces idées morbides. »

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