des policiers accusés de violences et des gardes à vue « arbitraires » critiquées

Les manifestations spontanées contre la réforme des retraites donnent lieu à des gardes à vue « arbitraires » et à des violences commises par les forces de l’ordre, accusent avocats, magistrats et hommes politiques. Le Premier ministre a rappelé mardi que la police avait « un devoir d’exemplarité », alors que pour le préfet de police de Paris, « il n’y a pas d’arrestations injustifiées ».
Des manifestants détenus plusieurs heures au commissariat, puis relâchés sans aucune poursuite, des policiers accusés de violences : avec les rassemblements spontanés contre le 49.3, avocats, magistrats et hommes politiques dénoncent des gardes à vue et des violences « arbitraires », y voyant, comme dans d’autres mobilisations ces dernières années, une « répression du mouvement social ».
« Face à ces violences (des manifestants contre la réforme des retraites, ndlr), je tiens à rendre une nouvelle fois hommage à nos forces de l’ordre qui assurent la sécurité des manifestations. Et je le répète, elles ont le devoir de montrer l’exemple et ils en sont conscients, nos policiers comme nos gendarmes », a déclaré la Première ministre Élisabeth Borne, mardi 21 mars, devant l’Assemblée nationale, lors de la séance de questions au gouvernement. « Tout signalement est examiné », a-t-elle ajouté en réponse à une question de la chef de file des députés écologistes Cyrielle Chatelain.
Au-delà des violences, le grand nombre d’arrestations interroge. Sur les 292 personnes placées en garde à vue en marge du premier rassemblement spontané, jeudi 16 mars, place de la Concorde, émaillée d’incidents, seules neuf ont été présentées au parquet, notamment pour des rappels à la loi. Au total, 283 procédures ont ainsi été classées sans suite, pour délit insuffisamment caractérisé ou absence de délit.
Le lendemain, 60 personnes ont été placées en garde à vue : 34 procédures ont été clôturées, 21 ont abouti à des mesures alternatives (rappel de la loi, avertissement probatoire, etc.) et 5 à un procès.
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« C’était vraiment toutes sortes de profils : des étudiants à l’ENS, des médecins, des sans-abris, des mineurs, des syndicalistes, des enseignants, des gens qui sortaient d’une conférence et qui étaient nasses », décrit pour l’AFP Me Coline Bouillon, l’une des avocates qui ont assisté les manifestants.
Les personnes ont été placées en garde à vue pour « participation à un groupement en vue de préparer la violence », ou « dissimulation de visage » et sont restées 24 h ou 48 h en garde à vue, a précisé l’avocat, qui parle de « gardes à vue-sanctions », avec des « dossiers irréguliers », « vides en terme de preuve de culpabilité ».
« Une instrumentalisation du droit pénal par le pouvoir politique »
Un collectif d’avocats dont elle fait partie entend déposer une plainte collective pour « détention arbitraire » et « entrave à la liberté de manifester ».
Dans un communiqué, le Syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche, a également dénoncé lundi ces nombreux placements en garde à vue, y voyant une « répression du mouvement social ».
« Il y a une instrumentalisation du droit pénal par le pouvoir politique, afin de dissuader les manifestants de manifester et d’exercer cette liberté », estime également M.e Raphaël Kempf, qui souligne l’absence de « réparation » ou « d’excuses ».
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Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise, a dénoncé mardi sur France Info « cette pratique d’arrestations abusives » tandis qu’Europe Ecologie-Les Verts réclamaient « l’arrêt des techniques de piège, jugées illégales ».
Cette pratique avait déjà été critiquée lors du mouvement des Gilets jaunes. « Le nombre ‘jamais vu’ d’interpellations et de gardes à vue réalisées ‘de manière préventive' », avait relevé le Défenseur des droits dans son rapport de 2018, citant le 8 décembre où près de 2 000 personnes avaient été interpellées dans toute la France.
Depuis janvier 2023, des manifestations ont lieu partout en France dans le cadre du mouvement social s’opposant au projet de réforme des retraites du gouvernement.
Nous mettons en garde contre l’usage excessif de la force et les arrestations abusives, rapportés dans plusieurs médias.👇
— Amnesty International France (@amnestyfrance) 21 mars 2023
« Depuis plusieurs années, nous documentons l’utilisation de lois trop vagues ou contraires au droit international pour arrêter et parfois poursuivre des manifestants pacifiques. Les autorités françaises doivent fournir un cadre législatif qui protège le droit de manifester », a tweeté Amnesty International France.
« Il n’y a pas d’arrestations injustifiées »
Depuis « quinze ans », il y a une « judiciarisation du maintien de l’ordre », constate Fabien Jobard, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de ces questions.
Il cite notamment la loi dite Estrosi de 2010 qui crée le délit de « participation à un groupe en vue de commettre des violences ou des dégradations » – initialement votée pour « lutter contre la violence en bande et dans les stades » mais utilisée depuis dans les manifestations .
Entre le « régime répressif » et le « préventif », où les interpellations ont lieu en amont des manifestations ou avant que des violences ou dégradations significatives ne soient commises, « le curseur est de plus en plus du côté préventif », souligne-t-il.
« Il n’y a pas d’arrestations injustifiées, je ne peux pas le laisser dire », a déclaré le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, à BFMTV. « On arrête pour des délits qui, à nos yeux, sont inventés », mais « 48 heures (de garde à vue) pour tenter de matérialiser le délit, c’est court », a-t-il ajouté.
Des instructions ont-elles été données pour contester massivement ? « Non », répond un haut gradé de la police, qui ajoute que « lorsque des profils à risque sont interpellés, ils n’agitent plus les autres ».
Mais avec ces nombreuses arrestations, la « manœuvre est risquée », renchérit un autre policier spécialisé dans ces questions. Selon lui, ils « exposent la main-d’œuvre, monopolisent les agents » et « risquent de radicaliser les manifestants ».
Avec l’AFP
France 24