Décès à 108 ans de l’écrivain italien Boris Pahor, rescapé des camps et fervent européen

L’écrivain et intellectuel italien Boris Pahor, appartenant à la minorité slovène, est décédé lundi à l’âge de 108 ans à Trieste, une ville à la frontière entre l’Italie et la Slovénie, ont rapporté les médias.
Doyen des littératures mondiales, l’écrivain de langue slovène a témoigné dans ses livres des déchirements du XXe siècle : résistant au fascisme et rescapé de la barbarie nazie, cet Européen convaincu s’est battu pour faire entendre la voix des minorités.
Frêle d’apparence, ce petit homme avait conservé un esprit intact jusqu’au soir de sa vie. Son livre le plus célèbre, Pèlerin parmi les ombres (1990 pour l’édition française de La Table Ronde), est le récit émouvant de sa déportation, témoignage comparable à celui de l’Italien Primo Levi ou du Hongrois Imre Kertész.
Ses romans restent intimement liés à sa ville de Trieste, où il est né le 26 août 1913, sous le règne de l’empire austro-hongrois. La ville portuaire, qui a inspiré l’Italien Italo Svevo ou l’Irlandais James Joyce avant lui, deviendra italienne après la Première Guerre mondiale.
Bien avant les camps, Boris Pahor a connu la violence de la répression. Il avait sept ans lorsqu’il a vu les chemises noires fascistes mettre le feu au centre culturel slovène de Trieste le 13 juillet 1920. « Sous l’Autriche, les Slovènes avaient su développer leur culture. Avec l’Italie on savait qu’on allait tout perdre »confiait-il à l’AFP, en français, lors d’un meeting en 2009 dans sa ville des bords de l’Adriatique.
Très vite, le slovène est interdit, les noms et prénoms italianisés, la presse slovène disparaît, les livres sont brûlés. Les Slovènes sont arrêtés, les résistants exécutés.« A 11 ans, moi qui suis né autrichien de nationalité slovène, j’ai dû devenir italien. Comment quelqu’un pourrait-il exiger que je devienne quelqu’un d’autre ? »
Cette histoire tourmentée, Pahor la raconte dans ses nouvelles deArrêt sur le Ponte Vecchio (1999) ou L’appel du navire (2008). « A 17 ans, j’ai compris qu’il fallait que je reste fidèle à l’identité slovène. Je faisais partie de ces ‘bugs’ que Mussolini voulait écraser. J’ai commencé à mettre mon identité sur papier, à écrire sur ma rue, la mer, la quais. J’ai conquis la ville en slovène »il a dit.
En 1943, il participe au mouvement de libération nationale. Livré aux Allemands par des fascistes slovènes, il est déporté début 44 au camp de concentration du Struthof, en Alsace dans l’est de la France, puis à Dora, Dachau et Bergen-Belsen en Allemagne.
« Je portais la lettre I mais je ne voulais pas brûler comme un Italien, je me suis déclaré yougoslave. Nous étions des ‘Triangles rouges’, des politiciens, des antinazis, des combattants de la liberté. Nous sommes inclus dans la Shoah, ça n’a rien à voir faire avec. Si on le signale, on nous accuse d’être antisémites »a regretté Boris Pahor lors de cette rencontre peu après le décès de sa femme.
C’est sa maîtrise du français et de l’allemand qui l’a sauvé de la mort. Mais pas le typhus ou la tuberculose. Écrit en 1967, Pèlerin parmi les ombres (Nekropola en slovène), n’est apparu en Italie qu’en 2008, bien après avoir été publié dans de nombreux pays européens.
En 1945, après un long voyage de retour des camps, il « trouver la civilisation » en France où il est soigné dans un sanatorium et tombe amoureux de sa nourrice, un épisode qu’il raconte dans ressort dur (1958).
« Je suis allé à Paris. J’ai vu la Tour Eiffel. J’ai été émerveillé par cette grandeur, pour revenir à la vie. Ma deuxième vie a commencé à Paris ».
De retour du royaume des morts, Pahor, un homme chaleureux au regard pétillant derrière de grosses lunettes, n’a cessé de témoigner.
« Des hommes en uniformes rayés devraient parcourir les villes d’Europe afin que les gens se souviennent de ceux qui sont morts pour la liberté… L’Europe doit se souvenir du mal qui a été fait et pas seulement de l’Allemagne… L’Europe marche sur les morts ».
Candidat européen du parti Union slovène dans la région de Trieste en 2009 et aux élections régionales de 2018 alors qu’il avait 105 ans, cet humaniste s’est engagé à faire en sorte que l’Europe des puissants entende la voix des minorités.
« Dans cette Europe dominée par l’économie, les minorités, leur culture et leur langue n’ont pas la place qu’elles méritent »il a regretté.
D’une longévité exceptionnelle, il confiait en 2018 au Corriere della Sera que « Depuis qu’il est sorti vivant du camp de concentration, le passage du temps lui était devenu indifférent ». « Je ne m’arrête pas, je regarde devant », il ajouta. Une leçon de vie.
Grb2