Improvisation sur la scène de la Salle Richelieu, du jamais vu. Pourtant, l’idée aurait sûrement enchanté Molière, considéré comme l’un des premiers improvisateurs. « S’il avait dû choisir une performance du programme, mon petit doigt me dit qu’il aurait choisi ce jour qui est le plus fidèle à son art et à son geste »prédit Eric Fraiseadministrateur général de la Comédie française. Si la « grand chef » de la Comédie française n’a pu honorer de sa présence la finale du trophée de la culture et de la diversité, nombreux étaient les invités de Marquer avoir fait le déplacement. Errant entre les sièges par terre, Jack Lang qui ne refuse jamais un selfie ou la discrète ministre de la Culture Rima Abdoul Malak aux côtés de Brigitte Macron, confortablement installée dans les fauteuils du balcon.
Depuis 2010, le Trophée permet à de jeunes collégiens issus de milieux prioritaires ou de milieux ruraux de découvrir l’improvisation théâtrale. Ce n’est que douze ans plus tard, à l’occasion du 400e anniversaire de la naissance de Molière, que le théâtre classique et l’improvisation se rencontrent à la Comédie-Française. « Un moment historique pour tous ceux qui chaussent des joggings pour s’entraîner (…). C’est aussi un moment historique pour la Comédie-Française, pour les acteurs et actrices de ce théâtre classique », estimé avec émotion Mélanie Le Moine, la maîtresse de cérémonie.
A l’occasion de cette collaboration, la Comédie-Française a conclu une convention culturelle avec la ville de Trappes. « Toute une tranche d’âge viendra à la comédie, et la comédie ira à Trappes », lance Eric Ruff, administrateur général de l’établissement. Un jalon dans l’histoire de cette discipline longtemps décriée et désormais abritée sous la coupole du Palais-Royal.
Habituellement installée dans les réfectoires et autres gymnases, la patinoire a été implantée sous les pampilles et les dorures de la salle Richelieu. Au milieu de la scène, deux équipes de collégiens vêtus de chandails de hockey portant leur nom attendent patiemment de part et d’autre du carré blanc. A côté d’eux, leur coach respectif, stylo et papier à la main, est accroché aux lèvres de l’arbitre. Véritable caricature de l’arbitre de hockey sur glace, Nour El Yakinn Louiz entre en scène, visage fermé sous les huées du public. Ce soir, c’est lui le méchant et il le fait comprendre dès le premier instant.
Accompagné de deux autres arbitres, il veille au signalement des différentes fautes et fixe les thèmes et consignes de chaque improvisation. Variant de 30 secondes à deux minutes, sous forme mixte (les deux équipes jouent ensemble) ou comparée (chacun passe à tour de rôle), les capsules se succèdent : « Cache ce vin que je ne peux pas voir », « Un blaireau sur la route départementale », « Un Palais Breton pour le Sultan » ou « Un phylactère en mer ». Les jeunes sont parfois amenés à chanter, mimer ou même jouer à la manière de Molière, un nouvelle catégorie ajoutée cette année pour rendre hommage aux 400 ans du dramaturge.

Dès que les consignes sont données, les deux équipes adverses se concertent autour de leur coach. Vingt secondes plus tard, les voilà lancés alors que le public digère encore ce qui vient d’être dit. A chaque erreur, l’arbitre siffle et nomme la faute par un geste très précis qui nous est totalement incompréhensible. Sur la patinoire, les collégiens impressionnent par leur aisance et leur solidarité. Difficile de choisir entre la face rouge et la face blanche de la carte pour voter pour l’une des deux équipes. Un drop ou réplique bien placé suffit à convaincre et à faire écho les rires du public jusqu’au plafond de la Salle Richelieu. Parfois au grand dam de l’arbitre, à deux doigts de s’arracher les cheveux quand l’un d’eux parle de « vestiaire » ou qu’un autre monte à bord d’une fusée lors d’une improvisation à la manière de Molière.
« C’est énorme, je ne me voyais pas venir là ». Bien qu’elle prépare depuis octobre pour cette visite, Emma de l’équipe Auvergne-Rhône-Alpes en finale ce soir-là, je n’arrive toujours pas à y croire. Au départ, ils étaient répartis entre trois équipes de différents collèges. Pendant plusieurs mois, les improvisateurs en herbe ont été suivis par un coach chargé d’assurer leur préparation. « Ils n’ont que 30 heures et c’est très peu de temps pour assimiler les règles et préparer les catégories à la manière de Molière » tient à rappeler au coach, Pierre-Antoine Gag de PDG&Cie – Ligue d’improvisation de Savoie. Séparé d’une cinquantaine kilomètres le l’un l’autre, ils se sont finalement rencontrés lors du match régional à l’issue duquel les collégiens qualifiés prendraient le chemin de la patinoire de la salle Richelieu. « Grâce au coach, on a pu apprendre tellement de choses sur Molière qu’on ne voyait pas en classe. » dit Emma, prenant comme exemple l’importance des masques pour la dramaturge, une information qui lui était inconnue jusqu’à présent.

Au-delà de l’enrichissement culturel, ce système oblige aussi les jeunes à se retrouver dans des postures qu’ils n’ont pas l’habitude d’adopter. C’est précisément cette difficulté qui provoquerait une découverte de soi. « Moi à l’époque j’étais un enfant timide et j’explosais sur scène grâce à l’improvisation. J’ai pensé que c’était super! » se souvient de david Sillet Gradcoach et fondateur de l’entreprise PDG-Ligue Improvisation savoyarde. Sur le plan scolaire, l’acteur se souvient avoir vu ses notes décoller suite à son intégration dans l’équipe de France d’improvisation. « Lorsque j’ai été contacté pour participer au Trophée Culture et Diversité, j’ai tout de suite accepté car je sais ce que cela peut apporter à ces jeunes et aux futurs adultes qu’ils seront. Sans ça, je ne sais pas ce que je serai aujourd’hui »nous raconte-t-il avec émotion devant la jeune troupe.
C’est pour cette raison que l’entraîneur a décidé de prendre le jeune sous son aile. yousstoine 13 ans. « J’ai hésité avec un autre élève et on s’est dit que ça allait pendre Yousstoine à l’école et on le voit, ça marche ! à se réjouit le formateur. « Avant, j’avais les mains dans les poches, j’étais coincé. Et maintenant je peux m’exprimer ! » confirmé le collégien avant de remonter sur scène pour la finale.
Au premier rang, l’arbitre Nour il yakinn Louis a vu des enfants comme yousstoine. Les premiers qu’il rencontre sont à Trappes. C’est dans la petite salle communale Jean-Baptiste Clément installée en pleine ville qu’il arbitre son premier match d’improvisation. A 22 ans, celui qui commence à rouler sa bosse dans le milieu n’avait jamais imaginé jouer de son sifflet sur la scène de la Comédie-Française. « C’est incroyable. C’est la première fois qu’il se passe autre chose à la Comédie-Française que des spectacles de la Comédie-Française », souligne le comédien avec des boucles de sel et de poivre sur un rire.
Pour porter fièrement les couleurs du bastion de l’improvisation ce vendredi soir, il est accompagné d’Amel amzianemembre de la même troupe Déclicthéâtre et entraîneur de l’équipe triomphante Ile-de-France, Papy dit Alain Degois grand chiffre l’improvisation à Trappes, désormais metteur en scène et directeur artistique du trophée Culture et Diversité, ou encore Jamel Debbouze, son ancien partenaire d’acteur.

Ce soir-là, l’humoriste s’est ému au micro. « Ça me fait chaud au coeur, car c’est grâce à cette discipline que j’ai pu m’exprimer et me sentir digne »il se glisse sur scène en fin de soirée. Le regard tourné vers la ministre de la Culture Rima Abdoul Malak et Brigitte Macron, il glisse habilement : « En espérant que l’improvisation puisse atteindre l’éducation nationale ». Reste à savoir si après le Palais-Royal, la discipline trouvera sa place dans les horaires
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