Hébron (Cisjordanie)
De notre envoyé spécial
Les vendanges battent leur plein en Terre Sainte et c’est un jour de fête à Hébron. La ville, minée par la colonisation, déborde d’une énergie peu commune. Plusieurs milliers de personnes se sont déplacées pour la Fête du Raisin pour célébrer ce qui fait la fierté de cette région vallonnée du sud de la Cisjordanie occupée : ses raisins de table, réputés pour leur qualité.
La vigne y est cultivée depuis quatre mille ans. Le raisin est le deuxième produit agricole en volume dans les territoires palestiniens. La région d’Hébron est celle qui possède la plus grande superficie plantée. De nombreux Palestiniens dépendent de cette activité pour leur subsistance. Pourtant, la zone, occupée par l’armée israélienne, est convoitée par les colons : chaque année, le bloc du « Gush Etzion » engloutit un peu plus de terres. Les restrictions de déplacement et d’eau imposées par l’occupation obligent les agriculteurs à partir faute de revenus.
Nour Aldin Melhem a quasiment épuisé son stock. Comme une dizaine de vignerons, il a profité de la fête d’Hébron pour vendre les raisins blancs savoureux et sucrés produits par son père à Halhoul, le village voisin. » Certains sont venus de Nazareth, à 200 km de là, pour en acheter. Même les Palestiniens vivant en Israël nous soutiennent. C’est une bonne journée «sourit cet avocat de 27 ans venu prêter main forte à la barre.
Ce qu’il ne vend pas au marché, il le vendra à la coopérative Al-Sanabel à Halhoul pour le transformer en jus. Cette initiative est unique en son genre dans le gouvernorat d’Hébron. Elle est née en 2006, au lendemain de la deuxième Intifada (2000-2005). «Cette année-là avait été catastrophique, » déclare Raed Abu Youssef, fondateur et actuel président de la coopérative. Nous n’avions pas pu vendre nos raisins : l’armée israélienne avait bloqué toutes les routes autour de Halhul, rendant impossible l’accès aux marchés. Nous avions perdu 60% de nos récoltes. »
Formé en ingénierie et en machinisme agricole à l’Université de Montpellier, Raed imagine une solution : transformer les raisins récoltés en jus. « Fini les pertes et le gaspillage. La coopérative achète les raisins aux agriculteurs adhérents qui récupèrent les bénéfices de la vente du jus au prorata des kilos apportés. » En 2022, la coopérative a produit 180 000 bouteilles, vendues en Cisjordanie et dans certaines villes arabes d’Israël.
Cela fait deux ans que Nour et son père ont rejoint les 365 membres de la coopérative. « Nous avons recommencé à cultiver les terres laissées en jachère, car nous savions qu’un revenu serait assuré », il explique. D’autres ont suivi et Raed se réjouit de l’augmentation de 60 % des surfaces cultivées à Halhoul. Les raisins ont retrouvé leur valeur.
Au défi de l’occupation s’ajoute celui du changement climatique. Si les cépages locaux cultivés sur les hauteurs de Halhoul (dabouki, jandali, etc.) résistent au manque d’eau, ils ont eu bien du mal avec les pluies estivales inhabituelles. Des champignons se sont développés sur les grappes. Raed Abu Youssef estime qu’il y avait 50 % de raisins en moins vendus sur les marchés. Selon lui, la coopérative a plus que jamais de sens.
« Ici, cultiver signifie résistance. Travail« Vivre ensemble, mettre en commun nos ressources et nos forces, c’est se donner les moyens de gagner notre vie, et de rester sur nos terres. » » dit ce résistant aguerri, emprisonné à deux reprises lors de l’Intifada et dont le projet bénéficie du soutien de nombreuses organisations internationales. Il espère que le modèle coopératif deviendra un exemple de démocratie au niveau local, dans des territoires où l’autoritarisme et la corruption des dirigeants n’existent plus.
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