Coup de chaleur sur la Baltique
La mer Baltique, au nord de l’Europe, fait généralement peu de vagues. Au propre comme au figuré. Peu profonde, elle ne connaît pratiquement pas de marées. Partagée par neuf États riverains, elle est loin des théâtres de conflits qui ont embrasé les Balkans, le Moyen-Orient et l’Afrique au cours des dernières décennies. Depuis l’élargissement de l’OTAN à la Pologne en 1999, et aux trois États baltes – Lituanie, Lettonie et Estonie – en 2004, elle est pourtant devenue une zone de contact direct entre l’Alliance atlantique et son principal adversaire, la Russie. . La tension est montée avec des manœuvres militaires en mer, dans les airs et sous l’eau.
Soudain, un choc géopolitique majeur s’est produit. L’onde de choc de la guerre en Ukraine s’est propagée à ces rivages paisibles. La Finlande et la Suède, qui contrôlent toute la rive nord, ont décidé cette semaine de rejoindre l’OTAN. L’invasion de l’Ukraine décidée par Vladimir Poutine le 24 février a notamment provoqué une violente électrocution chez les Finlandais. L’histoire leur a appris à se méfier de leur voisin oriental. Cédée par la Suède à l’empire des tsars en 1809, la Finlande proclame son indépendance un siècle plus tard à l’occasion de la révolution bolchevique. Envahie par l’Union soviétique en 1939, elle dut signer un armistice trois ans plus tard. Au terme d’un traité « d’amitié » conclu en 1948 sous la pression de Moscou, elle retrouve son indépendance mais au prix d’un statut de neutralité forcée qui devient un concept, la « finlandisation ».
Son entrée dans l’Union européenne en 1995 l’avait ancrée à l’Europe occidentale. Mais elle s’est appuyée sur ses propres forces pour se défendre, en prenant soin de ne pas contrarier la Russie avec laquelle elle partage plus de 1 300 kilomètres de frontière. C’est cet équilibre que la guerre en Ukraine a bouleversé. L’attaque délibérée contre un pays pacifique qui ne représente aucune menace pour Moscou a fait prendre conscience aux Finlandais de leur vulnérabilité. Idem en Suède, qui enregistrait depuis plusieurs années des incursions russes dans son espace maritime et aérien.
« C’est toi qui a causé ça. Regardez-vous dans le miroir », a déclaré le président finlandais Sauli Niinistö à son homologue Vladimir Poutine. Pour le Kremlin, la baisse est spectaculaire. La Baltique devient une mer adverse, un lac quasi intérieur de l’OTAN. La Finlande et la Suède viennent renforcer les pays baltes, la Pologne, l’Allemagne et le Danemark. Une fois leur adhésion acquise, d’ici un ou deux ans, la Russie se retrouvera totalement isolée. Moscou a certainement l’enclave surarmée de Kaliningrad, coincée entre la Lituanie et la Pologne. Mais son débouché naturel autour de la ville de Saint-Pétersbourg sera bientôt coincé entre la Finlande au nord et l’Estonie au sud. Les stratèges russes peuvent redouter de voir un jour des canons ennemis à 150 kilomètres de leur ancienne capitale. A cela s’ajoute le doublement de la zone de contact terrestre entre la Russie et l’OTAN, qui atteindra alors 2 555 kilomètres.
Entre l’Alliance atlantique et la Russie, les stratégies de dissuasion vont gagner en intensité. La Russie renforcera probablement son arsenal balistique et nucléaire à Kaliningrad. L’OTAN sera plus prudente. Mais tout indique que le climat géostratégique de la mer Baltique va se réchauffer de manière accélérée.
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