Comment freiner la flambée des prix de l’électricité

Et soudain, le programme s’accéléra. Après s’être opposée pendant des mois à toute réforme du marché de l’électricité, réclamée avec insistance par plusieurs pays dont la France, la Commission européenne fait marche arrière. UN « conseil énergie » a été convoquée en urgence le 9 septembre à Bruxelles. Le ministre tchèque Jozef Sikela parle de la nécessité de « réparer » le marché. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, estime pour sa part que « la flambée des prix de l’électricité montre clairement les limites » de son fonctionnement actuel.
En avril dernier, le rapport commandé sur le sujet par Bruxelles à l’Agence européenne de coopération des régulateurs de l’énergie (Acer) recommandait pourtant de ne rien faire, estimant que le système actuel garantissait un approvisionnement « efficace et sûr » dans l’électricité et dénonçant « potentiel de distorsion » de mesures » interventionnistes « . La Commission avait choisi de laisser toute latitude aux États pour prendre des mesures exceptionnelles. Mais cela ne suffit plus. Fin août, le kilowattheure a franchi la barre des 1 000 euros pour une livraison en 2023 sur le marché de gros, où les prix sont déterminés, un niveau sans précédent, dix fois supérieur à celui d’il y a un an.
« Le marché fonctionne aujourd’hui en mode panique. Les acteurs sont persuadés qu’on va manquer d’électricité cet hiver et essaient de se couvrir, même s’il y a sans doute aussi un peu de spéculation », souligne Nicolas Leclerc, le fondateur d’Omnegy, cabinet de conseil en énergie. Face à la flambée des prix, les usines commencent à réduire leur production, et de nombreuses fédérations professionnelles appellent à des mesures d’urgence.
Outre les conséquences de la guerre en Ukraine, l’Europe manque cruellement de capacités de production maîtrisables, c’est-à-dire non intermittentes. Il y a des facteurs conjoncturels comme l’arrêt d’une partie des réacteurs nucléaires d’EDF (pour des questions de maintenance et de corrosion) et la sécheresse qui sévit en Europe et réduit la production des barrages. Le sujet de la disponibilité du parc nucléaire français pour cet hiver devrait également être au menu d’un conseil de défense consacré à l’énergie, qui se tient à l’Élysée, vendredi 2 septembre. La mise en place de mesures restrictives est également envisagée.
La crise actuelle est aussi la conséquence de la fermeture de nombreuses centrales thermiques et nucléaires, notamment en Allemagne. Dès 2019, RTE, le gestionnaire du réseau de transport français, prévenait que l’hiver 2022-2023 serait difficile. Car le marché de l’électricité a un fonctionnement très particulier, lié à la spécificité du produit : les électrons circulent à la vitesse de la lumière mais ils ne sont pas stockés (du moins à grande échelle). Il est donc nécessaire de maintenir en permanence l’équilibre entre l’offre et la demande, sinon le système sera déclenché.
De ce fait, le prix est déterminé par le coût de mise en service de la dernière unité de production utilisée pour couvrir les besoins. Il s’agit principalement de centrales électriques au gaz, dont le prix a été multiplié par près de vingt en deux ans. « Pour produire 1 MWh d’électricité, il faut 2 MWh de gaz, ce qui coûte 600 € au prix actuel. A cela s’ajoute 40 € correspondant au prix du CO2 émis, plus les frais de fonctionnement. En dessous de 670-700 €, les centrales tournent à perte », décrypte Thomas Pellerin-Carlin, chercheur à l’Institut Jacques-Delors.
Deux points brûlants devraient être évoqués lors de la réunion du 9 septembre. Premièrement, une éventuelle limitation des prix, par un système « réponse d’urgence » sur lesquels travaille la Commission. Puis une réforme plus en profondeur pour découpler les prix du gaz et de l’électricité. Cette demande française fait désormais de plus en plus d’adeptes parmi les États membres (Allemagne, Autriche, Belgique, pour ne citer qu’eux).
« Il faut éviter l’effet de contagion lié à la pression russe sur les approvisionnements européens en gaz. Cela pourrait se traduire par un plafonnement du prix du gaz utilisé dans la production d’électricité, mais avec un prix de référence européen unique pour le gaz », pointe Michel Derdevet, le président du laboratoire d’idées Confrontations Europe. En mai, l’Espagne et le Portugal avaient déjà reçu l’autorisation temporaire de plafonner le prix du gaz destiné à produire de l’électricité : d’abord à 40 €/MWh, puis 5 € de plus par mois à partir de juillet pour atteindre 70 €/MWh en décembre. La différence avec les prix spot est payée par l’État aux opérateurs – par le contribuable plutôt que par le consommateur.
Le système, dont le coût pourrait approcher les 15 milliards d’euros pour les deux pays, a plutôt bien fonctionné jusqu’à présent. L’Espagne et le Portugal, mal interconnectés avec le reste de l’Europe, ont désormais les prix de l’électricité les plus bas, trois fois moins élevés qu’en France et en Allemagne.
Lors de la réunion du 9, l’Autriche pourrait proposer cette solution, qui semble également retenir l’attention de l’Allemagne et de l’Italie. « Mais mettre en place ce système à l’échelle européenne risque d’être très coûteux, et il devrait être adopté par tous les États membres sous peine de créer des effets pervers », rappelle Jacques Percebois, professeur émérite à l’université de Montpellier. Comme d’autres économistes, il plaide pour la définition d’une nouvelle formule de calcul qui lisserait le coût de la dernière centrale appelée, et donc in fine le prix de l’électricité sur le marché.
Plusieurs pays, dont la France, plaident également pour une relance des contrats à long terme entre producteurs d’électricité et grands consommateurs industriels, plutôt mal vus à Bruxelles ces dernières années, au nom de la libre concurrence. Dans l’immédiat, la priorité qui fait désormais consensus est de réduire la demande, notamment au pic. « C’est l’un des moyens les plus rapides de faire baisser les prix de l’électricité »se souvient Nicolas Golberg, spécialiste des questions énergétiques chez Columbus Consulting et auteur d’une note sur la sobriété pour la Fondation Terra Nova.
Sans cela, la réactivation des centrales à charbon, qui avaient été à l’arrêt, semble inéluctable, tirant ainsi un trait sur les ambitions climatiques de l’Europe. » Alors que la situation actuelle nécessite l’adoption de mesures d’urgence pour faire face à la flambée des prix, des réformes structurelles de marché doivent être préparées pour accélérer la transition vers la neutralité carbone. ajoute Bertrand Charmaison, directeur de l’Institut de recherche sur les économies d’énergie au CEA. A Bruxelles, le sentiment qui prévaut maintenant est que nous sommes arrivés à « le moment de vérité », selon la formule déjà utilisée par Ursula von der Leyen. Mais les discussions promettent d’être longues.
New Grb1