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Nouvelles locales

Cardon : « Je recrache la toxicité de l’actualité dans mes dessins »

L’apprenti de l’arsenal n’a jamais renié ses origines, qui l’ont nourri toute une vie de dessins. « Marre » revient sur ses années « dimanche de l’Humanité », quand Cardon décryptait la réalité pour mieux en faire sortir les hommes. Rencontre avec un poète critique, aux traits surréalistes et visionnaires.

© éditions super loto & Les requins marteaux.

Comment un fils d’ouvrier, apprenti à 15 ans, découvre-t-il les beaux-arts ?

Mon père était voilier au Havre avant la guerre. Il fallait être designer pour ça. Sa passion était les bateaux, le mât d’artimon… J’en ai hérité. Mais ma passion était les hommes. Je ne l’ai jamais vu travailler : mon père est mort à la guerre, au stalag, sous un bombardement. J’ai gardé ses dessins, sa charnière, c’est-à-dire son gant de cuir pour coudre les voiles. Je suis devenu ouvrier à l’arsenal de Lorient et j’ai travaillé à la base sous-marine. J’ai dessiné samedi.

Pendant mon service militaire, en pleine guerre d’Algérie (1958), j’ai débarqué à Toulon comme élève de la nation, donc dispensé d’Algérie. Je me retrouve à l’école des apprentis de la marine à Saint-Mandrier, dans la rade de Toulon. Je bricole dans la journée, et je m’inscris aux beaux-arts. Je suis content. De retour à l’arsenal, j’ai découvert dans une librairie de Lorient les livres de Jean-Jacques Pauvert et sa revue « Bizarre », consacrée au dessin. C’est un choc. Il y avait Gébé, Topor, André François, Mose, Siné… Ils étaient tous là. Et j’ai ajouté au crayon, à l’intérieur, « Cardon ».

Vous accompagnez un ami à Paris. Est-ce là que vous décidez de tout laisser pour le dessin ?

Dès mon arrivée à Paris, je suis allée voir Pauvert le cœur battant. Je tombe sur cet homme formidable, qui me propose de montrer mes dessins dans « Bizarre ». Trois mois plus tard, je rentre à Paris et j’ai mon numéro, le 19, intitulé « Cardon et compagnie ». J’avais dessiné des ouvriers, des patrons voraces, des prêtres. C’était encore très académique mais je voulais dire des choses. Pauvert me parle d’un journal qui vient de sortir : « Hara-Kiri ».

J’y ai rencontré Cavanna, Topor… Armé de mon vade-mecum, le « Bizarre » n° 19, j’ai demandé à l’arsenal un congé sans solde et je suis allé à Paris en 1962. J’ai manifesté contre l’OAS le 8 février. Nous étions coincés à City Hall et ensuite j’apprendrai la mort de Charonne. Je place des dessins partout. Nous nous sommes rencontrés rue du Croissant, au café de Jaurès, car c’était à côté des NMPP (Nouvelles Messageries de la presse parisienne). Et on s’est fait avoir, Topor, Gébé et moi, en publiant des dessins pour « Minute », qui était antigaulliste.

Ce journal n’était pas encore ouvertement pour l’OAS et cachait bien son jeu. Je suis parti travailler avec Siné dans « Siné Massacre », où c’était une autre histoire ! Les procès se sont multipliés pour « outrage à l’armée », « moralité ». Je me suis retrouvé à la brigade des mœurs, puis au procès défendu par Roland Dumas… Le substitut du procureur a évoqué notre « libido malade ». J’étais fier : à peine sorti de Montparnasse, je me retrouve avec une médaille ! Je m’étais intégré dans le monde des dessinateurs de presse avec ce procès.

Comment rencontrez-vous « l’Humanité » ?

Pour moi, c’était le journal ouvrier. Mon beau-père a acheté « L’Humanité Dimanche ». Après « Hara-Kiri », la première chose que j’ai faite en arrivant à Paris a été d’aller voir « L’Humanité Dimanche ». J’ai rencontré le dessinateur Vazquez de Sola, qui avait fui le franquisme. Puis du grand Jérôme Favard, le père que je n’ai jamais eu, et Michel Tartakowsky, l’ancien résistant, qui m’accueille comme un ami. Je fais des dessins pour « l’Almanach ». On parle beaucoup, on n’est pas toujours d’accord. Après 1968, tous les journaux voulaient faire des caricatures politiques. Vazquez de Sola ne le sent pas et ils me l’offrent après mon expérience à « Politique Hebdo », plus anar que « l’Humanité ». J’y ai écrit de grandes pages, mais le journal est tombé en panne. Pendant cinq ans, j’ai fabriqué des planches « Huma ».

C’est là que j’utilise le terme « ras-le-bol », qui date de 1968. Je me suis un peu battu avec André Carrel, un grand résistant de Rol-Tanguy, qui trouvait l’expression un peu gauchiste. Mais après un sondage, les lecteurs ont voté pour que je reste à 51% ! On me demande alors de grands dessins pour rajeunir la formule de « Humanité Dimanche ». Je racontais des petites histoires, avec de la poésie. C’était un repos entre des séquences de travail, des ouvriers qui se battaient et mouraient. Nous avions besoin de vacances, nous avons dû nous envoler. La poésie compte beaucoup pour moi. Comme mes gars qui s’envolent avec des chaises…

Ou votre métaphore des hommes au compteur d’air…

Il m’est venu au Havre chez ma belle-mère, une prolétaire qui savait à peine écrire. Elle a parlé de sa voisine bossue « avec son compteur dans le dos ». Il a basculé. Respirez avec un mètre sur le dos ! Mon père est mort asphyxié. Vous voyez le lien… Dans mon dessin, les hommes sont équipés comme des bébés d’un compteur qui se greffe dans leur dos. Tout ce qu’ils respirent est compté. S’ils courent, ils consomment plus. S’ils sentent une rose, ils devront payer plus. S’ils sont dans un quartier agréable, l’air est plus cher. J’ai toujours essayé de trouver la métaphore, de donner une dimension philosophique, politique, touchante, allant jusqu’à l’os de l’individu. Sans jamais manquer de trahir mes amis, ceux que j’ai laissés à l’arsenal, qui sont aujourd’hui sous oxygène à cause de l’amiante.

Face à l’actualité, comment gardez-vous le sourire ?

Je dépose le poison dans mes dessins. Ça ne colle pas à mon estomac. Je recrache la toxicité. Cela m’a probablement épargné beaucoup de maladies. J’ai toujours été en colère. J’aimais l’égalité, que justice soit pesée, au trébuchet du travail accompli. La nouvelle, vous la subissez. Il faut s’en débarrasser, le pousser sur le côté. Il faut toujours se mettre à l’écart. Vous voyez les enfants suivre les gestes barrières ? Vous en avez toujours un, souvent c’est une femme, qui saute la barrière et s’en va.

RAS LE BOL, de Cardon, Supern Loto Éditions-Les Requins Marteaux, 256 pages, 39 euros.

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