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Nouvelles locales

Amazon, le loup dans l’imprimerie

Tout a commencé par un pitch. Le 16 juillet 1995, un banquier nouvellement installé à Wall Street à Seattle, Washington, USA, a lancé une société avec l’ambition de créer « la plus grande librairie du monde ». Rusé, ce jeune loup mégalomane du nom de Jeff Bezos commence par constituer un catalogue de livres en ligne en « aspirant » les données numériques produites par les bibliothèques et les maisons d’édition. Par la suite, son site Web rudimentaire, Amazon.com, commence à proposer à la vente des livres que l’entreprise n’a pas en stock. Chaque fois qu’une commande arrive, une petite cloche sonne dans le garage de Bezos. Ses premiers employés ont alors été chargés de récupérer le livre en question dans un entrepôt de distribution situé non loin de la villa de l’entrepreneur. Cette proximité géographique ne doit rien au hasard : en proposant d’expédier partout dans le monde des livres qu’Amazon ne détient pas – ce qu’aucun client ne soupçonne – Bezos exploite le potentiel d’Internet pour concurrencer les librairies.

Vingt-sept ans plus tard, le boss-bluffeur est devenu le deuxième homme le plus riche de la planète. Amazon compte désormais 175 centres de distribution dans le monde, emploie une armée de plus de 1,6 million de travailleurs et a généré en 2021 plus de 137 milliards de dollars de revenus. Pour développer Amazon et faire de cette entreprise un empire, Bezos s’est inspiré des grands entrepreneurs du chemin de fer et du télégraphe du XIXe siècle : il a construit ex nihilo une infrastructure de distribution d’informations et de marchandises. En réinvestissant ses bénéfices plutôt qu’en rémunérant ses actionnaires, Amazon a créé un réseau efficace d’entrepôts logistiques, de centres de traitement et de stockage de données, une flotte de remorques cargo et d’avions, etc. Et s’apprête à lancer une constellation de satellites en orbite basse.

Amazon inaugure également des imprimeries à la pointe de la technologie au cœur de ses entrepôts logistiques afin de produire à la demande les livres qu’elle vend sur son site internet. Après avoir agrandi son site de Brétigny-sur-Orge (Essonne) de 24 000 m2, le géant américain y installe sa première imprimerie française. Une centaine d’ouvriers y travailleront à temps plein à partir du 2 novembre.

Ubérisation des auteurs

Même si Amazon est devenu un mastodonte de la vente de livres – son site internet vend plus de 13% des livres achetés en France – cela reste une activité « marginale » pour l’entreprise car ses ventes d’articles de cuisine, de produits électroniques et de matériel informatique représentent des volumes plus importants. . Le numéro un mondial de la vente en ligne tient néanmoins à renforcer son hégémonie dans le secteur du livre en investissant dans l’impression « à la demande » : en septembre 2020, Amazon a signé un contrat de 400 millions de dollars avec le fabricant israélien de machines d’impression numérique Kornit. Ce contrat d’une durée de cinq ans prévoit la fourniture d’équipements et d’encre, ainsi que l’acquisition de nouveaux produits.

Lancée en novembre 2007 aux États-Unis et en 2011 en France, la plateforme Amazon Kindle Direct Publishing (Amazon KDP) permet aux auteurs d’auto-publier gratuitement leurs livres en ligne, de fixer le prix de vente, de commander des tirages imprimés à la demande et de recevoir un pourcentage de royalties supérieur à celui pratiqué par les éditeurs traditionnels. Pour faire l’éloge de ce service, Amazon présente ses auteurs comme des « indépendants » et leur promet transparence, flexibilité, autonomie. Comme les chauffeurs Uber, ces « indépendants » sont réputés « libres » d’organiser leur activité d’écriture et de promotion.

« Imprimer est un vrai métier »

Les grands groupes d’édition français comme Editis, Hachette ou Madrigall (Gallimard, Flammarion, etc.), qui produisent ensemble l’essentiel des best-sellers, détruisent simultanément la plupart des livres que leur renvoient les libraires lorsqu’ils ne se vendent pas, en les pilonnant. Pour pouvoir « occuper » les espaces de vente et augmenter leurs chances de succès commercial, ces grands groupes surproduisent délibérément des livres au détriment de leur qualité. Ils ne soutiennent pas toujours correctement leurs auteurs, et les rendent précaires en leur versant des droits d’auteur affamés. Indirectement, ce phénomène de surproduction incite les auteurs à s’auto-éditer sur Amazon. En séduisant ces individus exploités par l’industrie culturelle, tout en rationalisant la production de livres afin de la déclencher après l’acte d’achat, Amazon cherche à faire passer le secteur de l’édition d’une politique d’offre à une politique de demande. « Nous proposons des services d’impression à la demande à tout éditeur de livres, qu’il s’agisse d’un auteur auto-édité avec Amazon KDP ou d’un éditeur », explique la multinationale américaine. Amazon imprimera-t-il demain les livres des « grands » éditeurs depuis ses entrepôts logistiques ? Si rien ne s’oppose à la logique d’accumulation de pouvoir d’Amazon, ce scénario dystopique pourrait bien devenir réalité car il propose de rationaliser une industrie du livre gaspilleuse, incapable de s’autoréguler, entièrement bâtie sur l’exploitation d’auteurs précaires.

« Imprimer est un vrai métierrappelle Alain Jeault, délégué syndical central de la CGT Amazon. La CGT est contre cette diversification car Amazon n’entend pas former de vrais imprimeurs. Au contraire, l’entreprise cherche à déqualifier le travail en faisant travailler des agents de production polyvalents sur ces machines ultramodernes. »

Depuis près de trois décennies, Amazon exploite les travailleurs, détruit des emplois et enrôle des concurrents dans sa gigantesque infrastructure pour construire un monopole. Mais l’entreprise puise d’abord sa force dans sa capacité à planifier des pans entiers de l’économie pour servir ses intérêts, puis à imposer cette même planification aux États, aux entreprises et à ses clients.

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